REPUBLICAIN ET SOCIALISTE (1)
Républicain et Socialiste, voilà une association qui pour certains paraît aller de soi, et donc ne mériter aucune attention particulière, ou bien au contraire pour d’autres, résonne comme la dernière des ringardises, tant ces adjectifs ont subi, au cours des ans, de sévères outrages.
Je les revendique pourtant bien haut, ces deux qualificatifs, et me déclare ouvertement, fièrement, et dans cet ordre, Républicain et Socialiste.
REPUBLICAIN ?
Tout le monde ne l’est-il pas ? Il y a plus d’un siècle que les partisans de la Monarchie ont abdiqué leurs prétentions dans notre pays…Alors, à quoi bon revendiquer cette qualité ? D’ailleurs, écoutons les femmes et les hommes politiques de tous bords, ils se réclament tous de la République. Tout cela n’est-il pas banalisé ?
Eh bien non ! Disons le tout net : Non ! La République n’est pas un concept mou et son caractère « révolutionnaire » reste intact.
Car la République n’est pas seulement le contraire d’une monarchie.
Dans notre pays, la Démocratie s’est incarnée dans la République et pour un français, les deux mots sont quasi-synonymes, avec quelque part la conviction que tout cela fut chèrement acquis, arraché et non octroyé, comme en témoigne l’expression « on est en République », qui signifie : « nous sommes libre et égaux», et qui souligne, non sans fierté l’attachement populaire viscéral à cette conquête. C’est qu’en France, pour des raisons historiques, les valeurs de la démocratie, disons pour faite court, les valeurs issues du siècle des Lumières et de la Révolution Française ont dû, pour s’imposer, s’opposer frontalement, au prix de plusieurs révolutions et de crises politiques, à un Ancien Régime particulièrement coriace.
De ce passé mouvementé, est née la République Française, à la fois pleine de singularité - c’est « l’exception française » - et porteuse de valeurs universelles- c’est le « modèle républicain », qu’on nous a tant envié et qui a servi de mythe mobilisateur à tant de peuples soulevés contre leurs oppresseurs.
Depuis ses débuts, la République, pour se maintenir d’abord, se renforcer ensuite a toujours eu une aile marchante d’une part, tirant la société toute entière vers le progrès politique et social, et des « républicains du lendemain » se ralliant, de plus ou moins bon gré aux avancées successives, d’autre part.
Et si la république n’appartient pas qu’à la gauche, sa défense, ses avancées, ses progrès sont presque[1] toujours venus du flanc gauche de l’échiquier politique[2].
Quelles sont donc les valeurs d’un Républicain « pratiquant » ?
De quoi est donc constitué ce « modèle républicain », et surtout, en quoi ses valeurs, loin d’être dépassées, sont-elles toujours opératoires et porteuses d’avenir, notamment face à l’idéologie libérale (sous ses différentes formes, conservatrice ou « sociale » libérale) ?
La république… une, indivisible et laïque
La République est une et indivisible. Elle récuse le communautarisme.
Ses citoyens ne se définissent pas par leur appartenance à une ethnie, une communauté, une langue ou encore une religion.
« La république connaît, mais ne reconnaît pas tout ce qui tend à morceler, séparer, démanteler la communauté civique… Elle respecte les folklores et les cultures, mais elle soumet à la loi commune ce qu’on appelle ailleurs les « minorités ». Il y a des corses, des homosexuels ou des protestants dans nos assemblées, mais ils n’y siègent pas ès qualités, ni au prorata de leur importance numérique dans le pays. La France est composée de citoyens, non de communautés. Les individus ont leurs particularités ; pas les citoyens. » (Régis Debray)
Il faut noter avec force que le caractère unitaire de la République ne s’oppose nullement à la Décentralisation. On peut être « Jacobin »[3] et Décentralisateur.
A ces principes forts, s‘en ajoute un autre, quasi-unique au monde et toujours révolutionnaire :
Depuis 1905, la République, une et indivisible, est aussi Laïque.
La Liberté de conscience et de culte est garantie par la neutralité de l ‘Etat à l ‘égard de toutes les croyances (et aussi de la non croyance) et de tous les cultes. Aujourd’hui, toutes les religions sont admises par la République, il leur est simplement demandé d ‘être discrètes, c ‘est à dire de se situer dans la sphère du privé, et de renoncer à imposer leur loi à ceux qui ne partagent pas leur foi.
La République…démocratique et sociale
. Pour prendre corps, les principes de la République ont besoin d ‘un Etat, garant de l ‘Intérêt Général, et revêtu d ‘un rituel symbolique fort, d ‘une part, et d ‘autre part, de Citoyens, car il n ‘est pas de République sans républicains.
L ‘Etat, en République, est le garant de l ‘Intérêt Général, notion abstraite qui ne se définit pas par la somme des intérêts particuliers. Ainsi, les parlementaires, dans la Constitution, sont-ils dès leur élection, les élus de la Nation toute entière, autre entité abstraite, et non les représentants de leur circonscription. Ils doivent faire la Loi, dans l ‘Intérêt Suprême de la Nation, et non être les instruments ou les porte-parole de groupes de pression, comme dans les sociétés anglo-saxonnes, notamment aux Etats Unis, où le « Lobbying » est parfaitement admis
Au nom de l ‘Intérêt Général, la République impose la primauté de la Politique sur l’Economie, de la volonté sur la fatalité. Ainsi ont été adoptées des lois, ainsi se sont constitués progressivement des Services Publics, qui concourent à rendre effective, après la Liberté, l ‘Egalité et la Fraternité de la trilogie républicaine.
Au premier rang de ces services publics : l ‘Ecole, l’Ecole Publique et laïque, dont la fonction principale est d ‘abord, de former des Citoyens.
La République ne peut se contenter de l ‘égalité juridique devant la loi, l’égalité des chances implique aussi une certaine équité des conditions matérielles, sans laquelle le pacte civique n ‘est qu’un faux-semblant. Ainsi sont apparus peu à peu, accompagnant l ‘évolution économique et sociale, les grands services publics à caractère social, et ceux permettant l ‘intervention de l ‘Etat dans l ‘économie, dès lors que l ‘Intérêt National était en jeu.
La république et la Nation
Pendant des décennies, les républicains ont affiché fièrement leur amour de la Patrie, n’oubliant pas que la République était née au lendemain de Valmy. Aujourd’hui, les penseurs à la mode ont réussi à faire croire que l’idée nationale était dépassée. A l’heure de la mondialisation, de la construction européenne, le patriotisme serait devenu ringard, archaïque,
La Nation serait-elle dépassée ? Pourtant on voit bien que la globalisation économique, loin de provoquer l ‘effacement des nations engendre au contraire des réactions nationales exacerbées, pire, des résistances ethniques, tribales.
L ‘ homme semble bien, en effet, avoir un véritable besoin d ‘ appartenance communautaire, d ‘identité, de cadre de référence proche, d ‘autant plus aigu qu’ ‘il est en situation précaire, fragile, vulnérable
De fait, la crise a montré l’évidence du rôle des Nations, seules réalités tangibles pour prendre les décisions d’urgence nécessaires.
Le vrai problème est de transformer le patriotisme en un sentiment ouvert et non xénophobe.
Or justement, la singularité de la conception de la Nation dans le modèle républicain français est d ‘être ouvert sur l ‘universel. La Nation française ne s ‘est jamais définie par l ‘appartenance ethnique. C ‘est le Droit du sol et non celui du sang.
La République ne connaît que des citoyens possédant la volonté de vivre ensemble, sous la loi commune. Pour toute la tradition républicaine, de Michelet à Jaurès , en passant par Renan, Gambetta ou Péguy, être Français est un choix, le choix de la Patrie des droits de l ‘ Homme et du Citoyen, de la devise Liberté, Egalité, Fraternité.
Qui ne voit aujourd‘hui l’urgence, pour les républicains, de se réapproprier l’idée nationale, au lieu de l’abandonner à la droite ou l’extrême droite, autorisant ainsi le dévoiement du patriotisme républicain en nationalisme ethnique, en racisme xénophobe.
On me dira qu’il est temps de transformer le patriotisme national en patriotisme européen, l’Europe représentant pour beaucoup le symbole de la paix. Pourquoi pas ?
Mais attention ! La Nation Française a mis des siècles à se construire, d’abord à travers la monarchie puis magnifiée par la République qui lui a donnée toute sa singularité, et, on l’a vu, ses valeurs universelles. Ne brusquons pas les choses au risque de provoquer refoulement et réactions identitaires nationalistes qui nous ramèneraient en arrière. Dans ce domaine comme dans d’autres, «qui veut faire l’ange fait la bête»
Construisons donc l’Europe, c’est évidemment pertinent, pour des raisons économiques, sociales, stratégiques, culturelles, mais à partir d’un projet, de valeurs communes, acceptées, partagées. Quand les peuples européens auront la volonté de vivre ensemble autour d’un projet commun qu’ils auront choisi, et il faudra sans doute un peu de temps, alors on parlera d’ un « peuple européen ». Pour l’heure, le plus court chemin pour construire une Nation Européenne, ce n’est pas d’affaiblir la Nation républicaine, c’est au contraire de nous donner les moyens de fortifier ses valeurs pour en faire partager l ‘essentiel à nos voisins.
« Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène » (J.Jaurès)
La république, la responsabilité, l’autorité.
L‘impuissance du politique n’est pas une valeur républicaine.
Pour autant, les républicains ne méconnaissent pas la réalité. Ils ont conscience que tout n’est pas possible. Leur volonté de changer l’ordre social leur impose de ne pas se contenter d’un rôle tribunicien ou de témoignage sans espoir mais bien de conquérir le pouvoir et d’en assumer les responsabilités. Cela ne va pas sans difficultés et impose de faire des choix, des compromis. Pour un républicain, la politique ne se résume pas à promettre sans souci de vraisemblance, de cohérence, de faisabilité ni de priorité, la satisfaction de toutes les revendications existantes, fussent-elles sympathiques, mais bien plutôt à faire des choix, parfois difficiles, entre plusieurs solutions, parfois même entre plusieurs inconvénients.
La citoyenneté, si elle confère des droits, impose aussi des devoirs. L’équilibre entre les deux termes est à la base de la république .La République récuse le laxisme et fait siennes les valeurs de l’effort, du travail, de l’exigence, de la rigueur, sous peine de les voir récupérées par les néoconservateurs qui les instrumentalise à des fins électoralistes.
La République née de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peut être suspecte d’attenter aux libertés .Elle est même allée jusqu’ à reconnaître aux citoyens le droit de s’insurger contre l’oppression. Mais elle sait aussi que la loi, expression de la volonté générale peut être émancipatrice et que dans certaines conditions, c’est la loi qui libère et la liberté qui opprime.
La République, la Raison, la Science.
Héritiers de la Révolution française et du siècle des Lumières, les Républicain restent fidèles à une conception du progrès social appuyé sur la Raison, le développement scientifique et technologique, la diffusion au plus grand nombre de l’éducation et des connaissances.
S’ils ont pris conscience des dévoiements productivistes, des dangers que le développement industriel a pu faire courir aux hommes et à la planète, et donc de la responsabilité humaine dans les désordres environnementaux, notamment en ce qui concerne le réchauffement climatique, ils récusent toute vision malthusienne et réactionnaire, restent confiants dans les vertus de la démarche scientifique et, loin des mirages de la « décroissance », continuent de prôner une politique favorisant une croissance durable. Il ne pourra y avoir de préparation de l’avenir, de réduction des inégalités ni même de développement durable sans création de richesse.
[1] Il y eut de brillantes exceptions…
[2] Cf. à ce sujet l’œuvre de l’historien Maurice Agulhon
[3] Pas d’anachronisme. Les Révolutionnaires de 1789 furent centralisateurs pour des raisons historiquement datées (le contrepied des structures féodales de l’Ancien Régime, la guerre des monarques européens contre la Révolution…etc.). Pour moi, « jacobin » est associé à « révolutionnaire », pas à « centralisateur »