D’Epinay à Marseille, Unité et Rénovation
Parti socialiste - Congrès de Marseille - Janvier 2023
Aux adhérents du PS de choisir l’audace, le pari pour l’avenir, comme à Epinay en 1971. Il y a urgence. On n’a plus le droit de perdre du temps à ne pas faire les choix décisifs.
L'enjeu du prochain congrès du parti socialiste fin janvier est immense, sans comparaison sans doute avec tous les précédents depuis celui d'Epinay en 1971.
Comme à Epinay en effet, il s'agira, à mon sens, de faire un choix entre :
- Ouvrir une nouvelle ère avec un nouveau parti socialiste, perçu comme tel par les médias et l'opinion, ce qui nécessite à mon point de vue une orientation politique clairement ancrée à gauche, en rupture avec le social-libéralisme, et choisissant une stratégie d'union, dirigé et animé, avec Olivier Faure et son équipe, par une nouvelle génération de dirigeants,
- ou bien, par frilosité, par peur de se confronter au réel et à la gauche telle qu'elle est aujourd'hui, par refus a priori de s'allier à d'autres forces politiques dès lors qu'on ne les domine pas, par impuissance à croire en notre propre capacité de développement et de renouveau, dépérir, isolé, sans autre issue que se fondre peu à peu dans un improbable « centre gauche », à terme soumis à la vraie droite libérale.
Choisir la stratégie d'union avec la gauche qui existe et pas avec la gauche dont on rêve, en clair s'allier avec des partenaires avec lesquels nous avons des points communs mais aussi de sérieuses divergences, c'est la stratégie courageuse adoptée par la direction actuelle du Parti socialiste avec Olivier Faure. Et ce choix de l’union, du rassemblement, ne date pas des législatives de juin 2022, comme une bouée de sauvetage après le désastre de la présidentielle, mais a été constamment réaffirmé depuis 2018.
Car oui, nous avons des divergences avec LFI et Jean Luc Mélenchon. Sur la politique étrangère, sur l'Ukraine, sur l'OTAN, comme du reste avec le parti communiste.
Oui nous avons des divergences avec certaines composantes de LFI, mais aussi avec les écologistes sur la laïcité, le port du voile, le rapport à l'islamisme politique, mais aussi sur la place actuelle de l’énergie nucléaire dans la politique énergétique, etc. et nous ne les avons pas occultées (au contraire elles sont explicitement exposées dans le programme partagé de la NUPES adopté en juin dernier)[1].
Mais nous avons aussi des points communs, et pas des moindres, sur les questions économiques et sociales, avec toute la gauche et les écologistes.
Car si nous prenons au sérieux ce que nous proclamons tous, dans nos propres textes récents[2], à savoir :
- Réformer l’orientation libérale de l’Europe, sortir de la domination libérale que la droite européenne a fini par imposer à l’union,
- Augmenter les salaires et réduire les inégalités
- Sauver nos services publics
- Préserver en mettant un terme au dogme de la réduction des dépenses publiques notre protection sociale, nos régimes de retraites en particulier, notre système de santé
- Instaurer une fiscalité plus juste et redistributive
-Combattre les contre-réformes des retraites, de l’assurance chômage,
- Réussir la transition écologique, c’est-à-dire investir massivement
- dans les énergies renouvelables,
- l’isolation thermique des logements,
- le développement des transports collectifs et les mobilités propres
- Retrouver en France et en Europe une souveraineté énergétique, sanitaire, alimentaire, etc.
…si on prend au sérieux ces engagements que nous partageons avec les autres partis de la gauche et avec les écologistes, (et il y a urgence),
si on veut redonner sa crédibilité à l’action politique et donc à la démocratie,
si on veut réinsérer les millions de français « désaffiliés » à la citoyenneté,
…alors il faut constituer une coalition majoritaire, distincte des droites, autoritaires ou libérales, et capables de favoriser la constitution d’un « bloc social » qui soit le socle d’une majorité politique durable. Si l’union des partis de la gauche ne suffira pas à constituer ce « bloc social », leur désunion rend impossible cette perspective.
Et la première marche de l’édifice, c’est l’union et le renouveau. Unité et rénovation c’était déjà le petit refrain du congrès d’Epinay.
A Epinay, en juin 1971, un nouveau leader, une nouvelle génération de dirigeants (appuyés il est vrai de quelques « anciens » lucides, comme Pierre Mauroy et Gaston Deferre) obtiennent une courte majorité pour choisir :
- Une ligne politique de « rupture avec la société capitaliste », qui renouvelle, après les espérances soulevées par mai 68, l’image du parti, clairement différente de celle, dévaluée, d’une SFIO abimée par les alliances centristes, l’atlantisme, et surtout les mauvais choix lors des décolonisations[3]
- Et d’autre part de s’unir et d’adopter un programme de gouvernement avec un parti communiste bien plus puissant électoralement que le PS de l’époque (5% des voix pour Defferre à la dernière présidentielle deux ans auparavant contre 21 % au communiste Duclos), sans parler de son implantation militante (plusieurs centaines de milliers d’adhérents contre quelques dizaines au PS.
Un parti communiste qui qualifiait encore de « globalement positif » le bilan des désastreux régimes communistes de l’Europe de l’Est[4], un parti communiste qui souhaitait déjà quitter l’OTAN, qui refusait la dissuasion nucléaire pour notre défense nationale, etc.
Et déjà à l’époque, certains camarades, sincères pour beaucoup, refusaient cette méthode, une alliance basée sur un programme concret, avec un partenaire jugé sulfureux, au motif que trop de divergences idéologiques, trop de divergences de valeurs nous séparaient du parti communiste[5].
Pourtant, l’alliance avec ce parti n’a pas entrainé l’effacement et la disparition du parti socialiste, bien au contraire, celui-ci n’a jamais trahi ses valeurs et ses convictions démocratiques[6], le puissant parti communiste (auprès duquel notre « gazeux » LFI d’aujourd’hui fait pâle figure avec ses maigres troupes intermittentes) n’a pas dévoré la volaille socialiste, les chars russes ne sont pas arrivés sur les Champs Elysées. Au contraire, plein de confiance dans ses valeurs et ses convictions, le parti socialiste est vite devenu la force centrale de l’union et bientôt, mais après l’avoir mérité sur le terrain et dans les urnes, la force dominante qui a permis de crédibiliser l’union.
Et ce « programme commun » et ses dérivés, ont permis, quelques années plus tard, la victoire de Mai 81, la retraite à 60 ans, de nouveaux droits pour les travailleurs dans les entreprises[7], la Décentralisation, l’abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l’homosexualité, le remboursement par la sécurité sociale de l’avortement[8], la libéralisation de l’audiovisuel, sans parler des dizaines de nationalisations de banques et grandes entreprises…
Ce nouveau parti issu d’Epinay, né dans la douleur, cette nouvelle génération de militants et de dirigeants, avaient alors une foi inébranlable dans la capacité du courant socialiste à jouer ce rôle moteur, central, dans l’union, à se développer pour mériter et acquérir cette position de leadership, et rendre crédible – et donc potentiellement majoritaire – « le peuple de gauche », cette « majorité sociologique » que Mitterrand voulait voir représentée enfin par une majorité politique.
Aujourd’hui, le modeste parti socialiste qui a survécu à la fin calamiteuse du quinquennat Hollande[9], qui a montré cependant sa capacité de résistance, au grand dam de toute une classe politico-médiatique qui le voyait déjà mort, notamment grâce à son implantation territoriale, ce parti socialiste de transition a le choix entre deux voies.
Deux voies et pas trois, malgré l’apparence que donnent les trois motions présentées aux adhérents pour le congrès de Marseille.
Avec le texte d’orientation n°2, Olivier Faure et la nouvelle génération d’élus et de militants qui forment son équipe présentent incontestablement le choix de l’avenir.
Ils font le pari que le parti socialiste peut redevenir la force centrale nécessaire et indispensable à la gauche pour « Gagner » (comme s’intitule le texte qu’ils portent). Mais à condition de le mériter, de le gagner dans le cœur des classes populaires et moyennes.
Et cela ne sera possible que si ce « nouveau parti socialiste », cette nouvelle génération, sont étroitement associés dans les esprits :
- à une ligne politique clairement ancrée à gauche, sociale, écologique, féministe, et fièrement républicaine,
- et, sans qu’il n’y ait aucune contradiction et aussi parce que nos électeurs le souhaitent ardemment[10], puissamment unitaire, cherchant le rassemblement avec toutes les forces de gauche et écologistes opposées à la droite libérale et à l’extrême droite populiste.
Une image clairement en rupture avec l’image sociale-libérale et politicienne associée dans l’opinion publique, peut-être injustement pour certains mais franchement méritée pour d’autres, de nombreux anciens dirigeants de ce même parti, dont certains ne sont d’ailleurs même plus membres…
Les deux autres textes proposés semblent, si on s’en tient aux textes eux-mêmes, assez différents.
Le premier (TO1), porté par Hélène Geoffroy qui a pris le relais de Stéphane Le Foll, battu par deux fois par les militants (pour la désignation du premier secrétaire en 2018, et du candidat à la présidentielle en 2021) incarne sans trop de nuances la défense du précédent quinquennat, accuse - sans argument factuel – la direction actuelle d’avoir une « stratégie d’effacement », d’être soumis à Jean Luc Mélenchon et la France insoumise - là encore sans aucun exemple qui vienne corroborer cette thèse – et de n’avoir « pas travaillé » depuis 2018.
Cette « tendance » prévient clairement que, victorieuse de ce congrès, elle quitterait immédiatement la NUPES, et on peut craindre au vu du ton employé, que si elle ne l’emportait pas, la rupture pourrait se faire avec le parti socialiste lui-même.
Ces positions apparaissant tellement excessives, au risque de devenir insignifiantes, ont conduit certaines figures du parti, plus prudentes, à chercher à incarner une « voie médiane », qui se situerait entre deux extrêmes, les pro et anti NUPES :
Le texte présenté par Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, par Lamia El Aarraje, adjointe à Paris, par Anne Hidalgo elle-même, et Patrick Kanner président du groupe socialiste au Sénat, adopte ainsi en apparence un positionnement cherchant à rassurer des adhérents inquiets de la tournure passionnelle que prend le débat.
On reste dans l’union, on ne peut pas faire autrement à moins d’être suicidaire, mais on dit haut et fort qu’elle ne nous convient pas, tant les divergences avec les insoumis sont grandes, et qu’il faut d’une manière ou une autre, en sortir (alors on ne sait plus trop si c’est oui ou si c’est non) et redevenir la force dirigeante (mais comment ?) d’une union de la gauche qu’on revendique (mais avec qui ?)
Mais le ton et le contenu des interventions orales de ses promoteurs lors des réunions devant les militants sont souvent, comme le rapportent nombre de témoins, beaucoup plus offensifs, voire agressifs que le texte le laisserait supposer.
Et cette ire ne s’abat que sur la direction actuelle et le texte porté par Olivier Faure. Jamais sur la motion Geoffroy- Le Foll, dont les défenseurs de ce texte « médian » … semblent en fait partager analyses et conclusions… Bizarre. Un texte « médian » qui ne l’est pas tant ses promoteurs sont plus proches de l’un que de l’autre.
Un positionnement habile plutôt, voulant rassurer et s’attacher des générations d’adhérents nés politiquement dans un monde où le PS était dominant et qui désespèrent depuis 2017 d’un retournement de situation qu’ils ne comprennent et ne peuvent admettre, et par ailleurs viscéralement rétifs à LFI et son leader.
Une nouvelle « synthèse molle », en quelque sorte, disant une chose sans écarter son contraire, ce qui n’est pas très grave si on continue à penser que de toute façon, peu du public visé ne lira vraiment les textes et n’écoutera les argumentations rationnelles qu’on leur opposera.
On pourrait aussi mais on n’insistera pas, y voir en sous-main l’influence de tel ou tel « ex » qui ne se résout pas à passer le témoin, ou la rancœur de tel ou telle, qui rejettent sur les autres la responsabilité de leur désastre personnel, ou ne digèrent pas d’avoir dû laisser la place, parfois injustement il est vrai, à un partenaire de la NUPES lors de la répartition des investitures lors des législatives.
Et comment ne pas y voir (vu la violence de certaines attaques personnelles dans les débats et sur les réseaux sociaux) transpirer la méchante jalousie de gens qui prenaient de haut ce « petit Faure » qu’ils considéraient comme un sous-fifre, en tout cas tellement moins intelligent qu’eux, qu’ils agonissaient de leur mépris chaque fois que possible, et qui le voient devenir lentement mais sûrement une figure politique nationale reconnue, en passe de tourner leur jugement en ridicule…
Le courant incarné par Olivier Faure est, pour moi, on l’a compris, le seul à pouvoir réussir ce congrès, à ouvrir une perspective, un espoir. Tout autre choix ou non choix retarderait encore l’échéance.
[1] Et compte tenu de la composition de l’arc politique français, pratiquement aucun de ces dangers ne risque de se réaliser car sans possibilité de majorité en France sur ces questions.
[2] Le projet du PS “Il est temps de vivre mieux », le programme d’Anne Hidalgo, la lettre des trois textes d’orientation présentés à ce congrès
[3] Notamment les pleins pouvoirs demandés par Guy Mollet, président socialiste du conseil, pour intensifier la guerre d’Algérie, l’envoi du contingent, etc.
[4] Et vilipendait dans sa presse et sa propagande toute critique de l’URSS, qualifiée d’antisoviétisme ou d’anticommunisme primaires.
[5] Une importante minorité s’opposait ainsi, au congrès d’Epinay à l’union de la gauche sous cette forme, derrière Guy Mollet et Jean Poperen (qui, lui, se ralliera quelque temps après à la nouvelle donne),
[6] L’union avec le PCF n’empêcha nullement Mitterrand de recevoir Alexandre Soljenitsyne, et le parti socialiste de soutenir sans faiblesse les dissidents soviétiques, tchèques ou polonais.
[7] Les fameuses « lois Auroux », 2 ordonnances et 4 lois qui modifièrent plus du tiers du code du travail , qui renforcèrent le droit d’expression des salariés et notamment doté le comité d’entreprise d’un budget de fonctionnement. Elle a consacré l’obligation d’une négociation collective annuelle et créé le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ainsi que le droit de retrait.
Des « lois Travail » qui produisait du progrès social et non une réduction des droits
[8] Droit à l’avortement autorisé quelques années plus tôt par la loi Veil, arrachée grâce aux voix de gauche contre la majorité de droite.
[9] Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit. Tout n’a pas été mauvais dans les cinq années « hollandiennes ». Certains progrès notables ont été actés, le financement obligatoire de la protection sociale des salariés par les employeurs privés, l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail, la retraite à 60 ans pour les carrières longues, le recrutement de 60 000 agents dans l’éducation nationale, le renforcement des effectifs de la police, le mariage pour tous, la COP 21, la dignité du président et de ses ministres de l’intérieur face aux attentats islamo-fascistes, etc…
Mais, prisonniers du carcan libéral européen, le président et ses 1ers ministres ont aussi instauré le CICE, aide sans contrepartie aux entreprises, sans différenciation entre elles, et sans le moindre résultat probant en matière d’emploi, la loi El Khomri, première « loi travail » réduisant les droits des salariés, la déchéance de nationalité, le renoncement immédiat à la renégociation des traités européens, la non réponse aux problèmes de l’hôpital public et en conséquence, la perte de la majorité au sénat, le renoncement du président sortant à se représenter, et la place et l’’influence croissantes offertes au ministre Macron, vrai libéral couvé et caché dans le giron présidentiel, pour mieux trahir à l’échéance suivante. Résultat : la disparition du PS au second tour de la présidentielle et un groupe parlementaire divisé par 10 ! aux législatives suivantes. Si « effacement » il y eut, ce fut à cette date, pas après…
[10] Rappelons qu’en juin dernier :
- 81 % des électeurs de gauche y étaient favorables
- 71% des électeurs du PS y étaient favorables
- 66% des électeurs du PS pensent que les convergences sont plus fortes que les divergences entre les partis de la gauche
(sondage Elabe-BFM TV- 3-4/05/2022)