DIEU, CESAR ET MARIANNE (2)
Deuxième partie : Qu’est ce que la Laïcité ?
Si la laïcité a évidemment une histoire, elle n’est pas réductible à cette histoire.
Si la connaissance des circonstances de son avènement est essentielle, elle ne doit pas conduire à négliger une approche plus conceptuelle, complémentaire de l’approche historique.
- La connaissance du processus historique est nécessaire:
Elle permet de comprendre les fondements théoriques, les circonstances, les acteurs, le contexte, de distinguer le noyau de la loi et les dérogations circonstancielles qui apparurent nécessaires au législateur.
Elle permet aussi de mesurer, à l’échelle de l’histoire, l’extrême jeunesse de l’évènement, la modernité du concept, à coup sûr moins archaïque que bien des vieilleries qu’on essaie de nous faire passer pour la dernière mode.
Comprendre aussi le caractère effectivement anticlérical qu’a pris, par force, l’émancipation laïque, du fait des positions très cléricales de l’Eglise. Et cette dernière semble parfois perdre un peu la mémoire de ce passé somme toute si proche, quand certains de ses adeptes, par exemple, revendiquent quasiment la laïcité comme une valeur chrétienne.
En tous cas, même si ce n’est pas sans arrière-pensée, cela montre bien qu’une religion aussi solidement implantée alors dans l’espace public que l’était l’Eglise catholique, a pu s’adapter à la laïcité, ce qui doit nous rendre optimiste - et offensif – pour d’autres religions soi disant incompatibles avec ce principe.
- Attention cependant à ne pas tirer, comme leçon, de l’histoire de la laïcité un relativisme (historique et géographique) dangereux qui expliquerait la « laïcité » par des circonstances historiques dans un pays donné, « la laïcité réduite à la république française », et en réduirait ainsi singulièrement la portée universelle. D’où l’importance de l’approche philosophique et juridique : pas plus que les circonstances historiques de l’établissement de la déclaration des droits de l’homme n’en affaiblissent leur caractère naturel, premier, et à portée universelle, celles de la loi de séparation ne dévaluent le message laïque.
L’idéal laïque n’est pas une spécificité folklorique que les français défendraient comme le camembert ou le foie gras, mais un message universel accessible à toute l’humanité, par delà les différences culturelles religieuses et civilisationnelles, à mettre en regard de la plupart des crises, guerres, conflits de toutes sortes sur toute la planète.
Ce n’est pas une vieillerie mais une conception terriblement moderne, le meilleur cadre jamais inventé du « vivre ensemble dans la liberté et l’égalité sans méconnaître les différences ni les cultiver pour autant ».
Je me risquerai donc à un essai de définition de la laïcité, manière de faire le point sur ce qu’on peut en dire aujourd’hui, instruit par cent ans d’expérience et appuyé sur de solides références, et la partie qui suit doit beaucoup à deux philosophes contemporains, Régis Debray, notamment connu pour ses écrits sur la République et les récents rapports sur l’enseignement des religions à l’école publique et la loi sur les signes religieux, et plus encore Henri Pena-Ruiz, spécialiste de la question laïque, auteur d’ouvrages aussi rigoureux que passionnant sur ce sujet.
Qu’est-ce que la laïcité ?
1) C’est d’abord, et chacun pense à cela de prime abord, la liberté de conscience. La liberté de penser, d’exprimer, d’exercer, pratiquer toutes les options spirituelles, religieuses ou philosophiques sans être inquiété en aucune mesure et à condition de respecter les lois.
La liberté de conscience n’est pas la tolérance. Celle-ci, même si elle a représenté historiquement un progrès considérable pour ceux qui en ont bénéficié, comparée aux périodes de persécutions, reste fragile, soumise au bon vouloir de celui qui tolère. La liberté de conscience est un droit premier, naturel, qui est du à tout être humain.
La liberté de conscience ne se réduit pas à la liberté religieuse. Elle concerne les religions, toutes les religions mais aussi l’athéisme, l’agnosticisme. On est libre d’adopter la religion de son choix, catholique, protestante, musulmane etc. mais on peut aussi ne pas croire.
La liberté de conscience implique aussi le droit de changer d’avis, de passer d’une croyance à une autre ou d’une croyance à l’incroyance et vice versa.
Enfin la liberté de conscience qui entraîne la protection de tous dans l’exercice de l’option philosophique ou religieuse de son choix, n’implique pas l’interdiction de la critique de ces différentes options.
En clair, si un athée a le droit d’être garanti dans l’exercice ou l’affirmation de ses convictions, il n’est interdit à personne de considérer, de dire et d’écrire que cette conception est critiquable, absurde, stupide.
Les catholiques ou les musulmans sont libres d’exercer leur culte mais la critique, même vive, même excessive doit être autorisée, sous peine de revenir au délit de blasphème (qui existe encore, au moins théoriquement, au Royaume Uni et en Allemagne).
Cette première série de droits est déjà considérable. Il a fallu des siècles pour y arriver et nombre de contrées de notre planète en sont encore dépourvues.
Cette première partie de définition concerne, pour l’essentiel la plupart des nations européennes et occidentales.
2) La Laïcité va plus loin cependant.
Elle postule, au-delà du libre exercice des diverses options philosophiques et religieuses, l’égalité absolue, c’est-à-dire l’égalité en fait et l’égalité en droit de ces dernières.
Nulle confession, nulle obédience, ne saurait bénéficier d’un statut privilégié, encore moins officiel.
En régime vraiment laïque, pas de religion d’Etat comme dans la France d’Ancien Régime, mais aussi dans l’Angleterre contemporaine où le monarque est le chef de l’église officielle. Certes, la liberté de conscience, où plutôt la tolérance, y est acquise, mais non l’égalité de droit entre les religions et autres options philosophiques, puisque le souverain, qui symbolise l’unité de la nation est organiquement lié à une confession.
Dans la plupart des pays européens, une ou plusieurs religions sont officiellement reconnues par l’Etat, comme dans la France concordataire. Leur clergé est rémunéré ou bien leurs institutions, notamment scolaires, sont financées par des crédits publics ou encore bénéficient de ressources fiscales.
Chaque allemand doit payer un impôt à la religion de son choix, chaque grec mentionner sa confession sur sa carte d’identité.
La république laïque, elle, « ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte » (art.2 loi du 9 décembre 1905)
L’égalité stricte des citoyens dans la diversité de leurs croyances, le respect des convictions propres de chacun, impliquent le non engagement de ce qui appartient à chacun d’eux, la chose publique, la République.
Non seulement la République assure la liberté de conscience, mais elle respectera une parfaite neutralité vis-à-vis des diverses religions ou autre conviction spirituelle ou philosophique.
Ni religion(s) d’Etat, ni athéisme d’Etat.
Cette conception porte en elle la fameuse distinction entre la sphère privée et la sphère publique :
- la sphère privée où chacun est libre d’adhérer à une religion, une option philosophique ou politique, d’exprimer sa conviction, d’en pratiquer le culte ou les manifestations (et l’Etat laïque garantit le libre exercice des
cultes).
Les religions sont libres de diffuser leur message à condition de ne pas ou de ne plus revendiquer d’emprise sur l’espace public.
On peut même considérer, que délivrées du lien qui unissait depuis des siècles le trône et l’autel, n’ayant plus qu’un message spirituel, délesté des compromis inévitables que la gestion temporelle leur imposait, les religions ont gagné en qualité d’adhésion spirituelle ce qu’elles ont perdu en quantité de fidèles.
- la sphère publique, l’Etat, les services publics, l’école publique, toutes les institutions de la république, qui par définition, appartiennent à tous les citoyens. Dans cet espace aucun citoyen ou futur citoyen ne doit être gêné, blessé, par la manifestation de la primauté d’une conviction religieuse, politique ou philosophique (crucifix sur les murs des écoles ou des tribunaux, portrait de Lénine ou de Karl Marx), aucune manifestation d’appartenance à une confession quelconque ne peut s’y manifester chez ses différents acteurs car la sphère publique ne doit accueillir que les valeurs communes à tous, celle qui unissent, et non celles qui divisent ou risquent de le faire.
3) Mais la liberté de conscience absolue et l’égalité en droit et en fait de toutes les convictions, qui constituent deux composantes fondamentales de la laïcité risquent de n’être que des proclamations de principe, des idéaux sans consistance réelle si on oublie la troisième.
La troisième composante de la laïcité, la plus subtile, la plus délicate à comprendre, la plus inaboutie aussi : celle qui va permettre au citoyen d’user réellement, pleinement, de ses droits.
L’émancipation authentique ne peut en effet se limiter à ses conditions juridiques. Sans la justice sociale, sans l’instruction, la culture, l’idéal laïque reste lettre morte.
La laïcité inclut donc le nécessaire combat pour l’égalisation des conditions sociales et culturelles pour permettre à chaque homme d’exercer réellement son libre arbitre.
Ce n’est plus seulement une attitude de neutralité passive, « la laïcité d’abstention », que requiert l’exercice de la laïcité dans l’espace public, c’est une posture offensive qui va animer tous les acteurs des institutions laïques, et particulièrement de l’école publique :
C’est là que va se jouer pour une part importante l’avenir des futurs citoyens, là que le maître (magister en latin) va permettre à l’élève, plus tard, de se passer de maître (dominus), en lui apportant la connaissance, l’esprit critique, et aussi la distance avec son milieu social, son appartenance communautaire, et le faire accéder au statut d’homme libre, de citoyen, capable, sans renier ses origines, de penser par lui-même sans être enfermé par un déterminisme social, ethnique ou religieux.
Conclusion :
En guise de conclusion, et juste pour montrer que le débat ne fait que commencer, (et il est temps à mon avis que la laïcité redevienne un sujet de discussion, de réflexion), je dirais qu’à partir de la connaissance, à la fois historique et conceptuelle de la question laïque, une certaine grille de lecture, pas nécessairement univoque, d’ailleurs, s’offre à nous, pour aborder de nombreuses questions, questions d’actualité, parfois brûlantes, en voici quelques unes :
- Faut-il comme le préconisent certains, modifier, adapter, moderniser la loi de 1905 ?
- L’offensive du communautarisme contre la République,(les signes distinctifs et ostentatoire de l’appartenance à une confession dans l’espace public, l’enfermement des jeunes filles issues de l’immigration dans leur culture, en fait dans une situation de soumission, le nouveau racisme communautaire dans certaines cités, mais aussi la nécessité d’une véritable action publique, politique pour que cesse la discrimination, notamment en matière d’emploi
- L’enseignement du fait religieux à l’école
- La Laïcité et l’Europe.
- La laïcité comme valeur universelle et sa compatibilité ou non avec d’autres cultures