LE RENOUVEAU ? CHICHE ! ELEMENTS POUR UNE REFORME PROFONDE DU PARTI SOCIALISTE
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Le titre de la motion présentée au congrès du PS par Jean Christophe Cambadélis : « Le Renouveau socialiste », motion qui a largement emporté l’adhésion des militants, ne devrait pas être pris à la légère. Et j’invite tous les socialistes qui, par loyalisme ou discipline, l’ont votée, sans forcément l’avoir lue attentivement ( !), à prendre en compte l’appel à la rénovation qu’elle comporte. Rénovation du parti socialiste, rénovation à situer elle-même dans la nécessaire réforme de toute la vie politique de notre pays.
En effet, au-delà ou plutôt en amont du congrès des socialistes, les évènements de janvier et la magnifique réaction du peuple de France, mais aussi deux mois plus tard, comme un message contradictoire, les résultats des élections départementales, la montée du front national, la désaffiliation civique de millions de citoyens, tout cela nous oblige.
A réfléchir. A parler. A agir.
La « classe politique » comprendra-t-elle qu’une occasion historique de renouer les liens distendus avec le peuple citoyen se présente, qui ne peut pas et ne doit pas être perdue.
L’exigence d’une réforme politique et morale s’impose évidemment, sans laquelle ces tragiques évènements suivis de la magnifique réaction du peuple français n’auront pas eu la suite historique qu’ils méritent
Commençons par le commencement :
La vertu politique : « un renoncement à soi-même »
Rien de mieux n’a été écrit sur ce thème depuis Montesquieu :
« Il y a trois espèces de gouvernements : le républicain, le monarchique et le despotique.
[...] le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps a la souveraine puissance ; le monarchique, celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies ; au lieu que dans le despotique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices.
« …Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. Mais dans un Etat populaire, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU.
« La vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible. On peut définir cette vertu, l’amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières; elles ne sont que cette préférence.
Qu’ajouter à cela, sinon que quiconque aspire à exercer des fonctions dans la république, se doit de respecter ces préceptes.
Les qualités morales des individus, essentielles, ne suffisent cependant évidemment pas à elles seules. Il y faut d’autres garanties :
Des conditions favorables à l’exercice de la vertu
Les partis politiques, et principalement ceux que le suffrage universel place en position d’exercer le pouvoir, se doivent d’organiser la sélection, le contrôle et la sanction éventuelle des femmes et des hommes qu’ils désignent pour les représenter dans les différentes fonctions électives.
Chassons donc sans faiblesse les escrocs et les corrompus, qui même s’ils sont ultra minoritaires nuisent puissamment à tout le corps politique : on ne dira jamais assez le mal qu’a pu faire un Cahuzac au président qui voulait instaurer une république exemplaire !
Mais la désaffection des citoyens pour la politique ne réside pas seulement dans le rejet de la corruption. Elle provient tout autant de la constatation, réelle ou supposée, d’un trop grand éloignement des décideurs de la réalité de la vie quotidienne.
Ici, point de démagogie facile: un(e) citoyen(ne) désigné(e) par le suffrage universel pour exercer de hautes fonctions gestionnaires, exécutives ou législatives, maire, élu(e) d’un département ou d’une région, parlementaire, et au-delà ministre ou plus encore, devient par nécessité, s’il assure consciencieusement les tâches qu’on lui a confiées, un expert et un spécialiste, assimilable à un cadre supérieur. Ses fonctions, son agenda, les personnes qu’il est amené à côtoyer dans l’exercice de ses fonctions sont évidemment très spécifiques.
Sa vie, son quotidien, ne peut donc pas être celui de « M tout le monde ». Néanmoins, afin de l’aider à rester en contact avec la vie réelle, plusieurs précautions sont nécessaires :
- d’abord, encore une fois, la nécessaire sélection des candidat(e)s par le parti politique. Au risque de me répéter – et d’en irriter plus d’un(e) – ce travail de base est absolument insuffisant actuellement. On a vu qu’on pouvait devenir ministre des finances en étant fraudeur, député votant les impôts en s’abstenant de les payer soi-même, etc. Pour exceptionnels qu’ils soient, ces cas sont désastreux pour l’image de tous et démontrent l’incroyable légèreté et naïveté de ceux qui les ont désignés.
- Et même sans malhonnêteté flagrante, combien de personnages moralement peu recommandables avons-nous laissé passer ainsi ? Combien d’individus dont l’ambition et l’énergie ont masqué l’absence totale de convictions ? Qui ne connait d’exemples à l’appui de ces dires?
Plus triste encore, combien de valeureux militants, d’hommes et de femmes honnêtes, portés légitimement et justement, à exercer de hautes fonctions s’y sont …perdus ? Vaincus par la tentation des avantages et des honneurs, ou rendus cyniques et insensibles par la dureté des combats politiques, ou ayant perdu en route leurs convictions et générosités d’origine pour ne garder que la froide et triste vie de celui qui lutte pour conserver sa place ? Ou tout à la fois ? Qui ne reconnait pas quelqu’un ou quelqu’une dans ces sévères descriptions ?
A coup sûr le cumul des mandats est-il en cause. La réforme récente –positive - limitant le nombre de mandats simultanés assainira sans doute la situation. Elle devra être tôt ou tard complétée par une limitation dans le temps.
Mais encore faut-il qu’il y ait des successeurs crédibles, faute de quoi on est évidemment amenés à redésigner, quoiqu’on en ait, les sortants. Encore faut-il également que les partis forment et préparent des successeurs potentiels aux ex-cumulards ? Que les élus en place ne « tuent » pas (politiquement s’entend, en démocratie au moins), ceux qu’ils peuvent considérer comme des rivaux potentiels, chose d’autant plus aisée quand ces mêmes élus tiennent tous les pouvoirs de décision.
Ces dernières remarques amènent à une question cruciale, celle de la nature et de la structure des partis. Et à ce stade de la réflexion, vous me permettrez de penser évidemment d’abord au mien, en vertu du principe selon lequel, lorsqu’on veut instaurer des règles de ce type, la moindre des choses est de se l’appliquer soi-même.
La question posée est donc la suivante : quelle doit-être aujourd’hui la nature du parti socialiste, et comment doit-il fonctionner ?
Des propositions :
Trois objectifs : dans les propositions qui seront examinées, trois objectifs au moins devront être poursuivis :
- Une moralité exemplaire des dirigeants
D’abord la recherche d’une moralité exemplaire des représentants, à quelque niveau que ce soit, du parti, me paraît être une absolue nécessité qui doit être prise très au sérieux. Cela passe par toute une série d’actes symboliques ou bien concrets.
- Engagements sur l’honneur du candidat de respecter une charte de déontologie / destitution en cas de manquement grave.
- Déclaration de patrimoine en début et fin de mandats
- Transparence totale sur indemnités et revenus divers
- Homogénéisation sur tout le territoire national des pratiques indemnitaires
- Sévérité extrême envers les contrevenants
- Contrôle des procédures par une haute autorité morale externe et indépendante
- Elu = une fonction et pas un métier
Pour aider et garantir ce haut niveau de moralité, il est nécessaire d’instaurer ou/et de faire respecter des règles de fonctionnement permettant aux élus et aux dirigeants internes d’exercer leurs mandats dans les meilleures conditions en préservant leur lien et la proximité avec leurs mandants, en fixant comme principe qu’être élu est une fonction et pas un métier.
- Limiter cumul des mandats simultanés. C’est en bonne voie
- Limiter le nombre de mandats successifs dans une même fonction (deux ou trois mandats maximum selon les niveaux de collectivités concernées)
- Instaurer un statut de l’élu qui donne aux salariés du privé des droits semblables à ceux des fonctionnaires
- Maintenir ou plutôt restaurer le contrôle du parti sur les élus
- Politique : Sur l’exercice du mandat, le respect des engagements, la solidarité, etc.
- Ethique : collège de sages, commission de déontologie, corps d’inspection citoyen…
- Rendre impossible le cumul d’une fonction exécutive (Cnes > 10000h, dépts, régions, intercos correspondantes) avec une direction (au moins fédérale) dans le parti
- Encadrer et former les élus de manière à ce qu’ils disposent d’un bagage politique plus sérieux qu’aujourd’hui. (la bonne volonté est louable mais pas suffisante)
- Former les militants à devenir des élus au moins autant que former nos élus à devenir des militants.
- Instaurer un encadrement par le parti de la perception des diverses indemnités, permettant à l’élu de ne pas devenir financièrement dépendant de son ou ses mandats
- Créer une véritable structure de réintégration des anciens élus dans la vie active.
Le parti, intellectuel collectif, mouvement d’éducation populaire.
Enfin et surtout, plus fondamentalement, le rééquilibrage du parti en faveur de ses militants et de sa fonction d’intellectuel collectif, et de mouvement d’éducation populaire doit être entrepris avec vigueur.
Le PS ne peut pas, ne doit pas, n’être qu’un parti d’élus.
On a coutume de dire qu’une des forces du parti socialiste réside dans le nombre et l’importance (même en période de reflux comme actuellement) de ses élus sur tout le territoire. C’est vrai.
Un tel réseau, puissant, présent partout, des plus petites aux plus grandes de nos collectivités, permet d’ancrer le parti dans le réel, de conserver le contact avec la population, de disposer de moyens importants, d’expérimenter des solutions de progrès localement, et il convient de rendre hommage à ces militants qui pour l’immense majorité d’entre eux, exercent leurs fonctions avec dévouement et honnêteté.
Mais cette force est aussi LA grande faiblesse du parti, son talon d’Achille.
Après chaque élection, à chaque victoire surtout, et il y en eut beaucoup sur le plan local depuis les années soixante-dix, le parti socialiste, victime de ses propres succès, n’a pas su éviter de voir ses meilleurs éléments happés par les fonctions électives, n’ayant pas le temps, ni sans doute la volonté, de les remplacer dans l’appareil du parti.
La vie interne du parti s’est ainsi peu à peu étiolée. Au fil du temps et des succès, le PS est devenu un parti d’élus, élus en fonction, anciens élus ou prétendants l’être un jour, le reste des effectifs comptant, de plus, nombre de collaborateurs d’élus et de fonctionnaires de nos collectivités locales! Ainsi le pouvoir réel est-il réellement exercé, du moins en province, non par les dirigeants statutaires du parti mais par ses notables inamovibles, régnant du haut de la pyramide sur toute une construction clientéliste de vassaux et de courtisans, le parti risquant de ce fait de n’être plus qu’une fédération de féodalités. On comprend aisément que ce processus se soit accompagné de l’affadissement des débats idéologiques internes au profit des rivalités personnelles et des logiques claniques.
Les problématiques d’élections et de gestion locales ont peu à peu absorbé l’essentiel des agendas, évacuant totalement des débats des sections (quand il reste des débats…) les préoccupations et les luttes sociales, les questions internationales, les interrogations théoriques sur l’évolution sociologique et culturelle de la société, l’identité du parti et son rôle par rapport aux différentes couches sociales, etc.
Cette évolution a ainsi peu à peu fait fuir les citoyen(ne)s qui, dans les années soixante-dix à quatre-vingt, peuplaient les sections, n’ayant nulle autre ambition que de participer bénévolement, selon leurs sensibilités, à l’amélioration de la société, au progrès social, à l’émancipation des travailleurs, à la libération des femmes, recherchant ainsi souvent un débouché politique à leurs militantisme syndical, associatif, humanitaire, voire religieux…
La fonction d’élaboration théorique, de recherche idéologique, de conception de projets et de programmes s’est déplacée vers les experts.
Enfin, alors que pour faire face à l’hégémonie de la pensée libérale conservatrice dans les médias, à la superficialité et la pusillanimité de la « presse de gauche », à la dictature de l’instantané, du buzz, dans les réseaux sociaux, les militants et sympathisants devraient disposer en permanence d’information, de formation, de connaissance solide, réfléchie, consistante, la fonction d’éducation populaire du parti est inexistante ce qui les laisse seuls et démunis – d’où le désarroi, le découragement et la fuite de beaucoup d’entre eux.
Or cela n’est pas compatible avec la fonction du parti socialiste dans la société et avec ses objectifs politiques tels que je me les représente.
Il y a donc urgence à remettre ce parti à l’endroit, en reconstruisant sa base fondamentale : des adhérents, des militants
Bien sûr il ne peut être question de revenir aux années soixante-dix et au parti d’Epinay. Le monde a changé. Les citoyens ont changé. Les objectifs politiques ne sont plus les mêmes. Les outils d’information, de formation, de communication, non plus, qui ont connu une évolution spectaculaire
Il faut construire le parti des adhérents et des militants avec les femmes et les hommes d’aujourd’hui.
Propositions :
- Une adhésion souple et à géométrie variable : chacun peut apporter, à sa façon, à sa manière, en fonction de sa disponibilité du moment, de ses talents, sa contribution.
- Le montant de la cotisation ne doit pas être un obstacle
- Les modalités d’adhésion doivent être multiples : par l’intermédiaire d’une connaissance, par internet, etc,
- Chaque nouvel adhérent, même (et surtout) s’il s’agit d’un nouvel élu, doit se voir proposer une formation de base qu’il pourra adapter à ses propres acquis.
Mais il ne faut pas oublier que le parti s’est quelque part perdu car ses adhérents, appartenant pour la plupart à la classe moyenne intellectuelle, et se pensant de ce fait suffisamment cultivés, ont négligé de se former et d’acquérir une culture politique commune et le parti a quasiment fait disparaître cette fonction pourtant essentielle.
Résultat : les adhérents du PS sont totalement démunis face à un contexte politico-social défavorable. Ils ne possèdent ni les éléments de culture économique de base, ni les bases de l’histoire du mouvement ouvrier, ni la connaissance des textes, programmes et projets en cours ! Les débats en section le montrent, leurs informations sont celles de la presse, télévisée la plupart du temps, ou pire, des réseaux sociaux.
Face aux médias, la plupart hostiles au courant politique social républicain et socialiste[1], et/ou distillant systématiquement, au nom d’une conception simpliste de la liberté de la presse (d’autant plus facile que celle-ci est totale), les mauvaises nouvelles, les présentations et analyses pessimistes, les articles amplifiant les nouvelles vraiment mauvaises ou minimisant les bonnes, face à cette presse[2] , les adhérents, les militants du parti, y compris la plupart des élus, n’ont aucune culture commune, aucun outil intellectuel disponible pour contrecarrer les discours hostiles et pessimistes.
Il est grand temps de prendre les mesures pour reconstituer la dimension de mouvement d’éducation populaire que doit avoir tout parti populaire qui se respecte, avec tout ce que cela représente comme exigence morale et intellectuelle.
- Constituer un dispositif national, régional, local de formation des adhérents, ouvert aux sympathisants qui le souhaitent
- Créer un réseau électronique de contre–information donnant en permanence aux adhérents, sympathisants, électeurs socialistes les éléments nécessaires au combat politique quotidien. Les moyens intellectuels ne manquent pas au PS, les moyens de diffusion sont aujourd’hui à la portée de n’importe quel mouvement, seul la volonté de le faire est nécessaire (et en plus le PS ne manque pas de moyens)
- Animer et faire vivre, en lien avec les Think tanks de la mouvance républicaine et socialiste (terra nova, Fondation J Jaurès et d’autres) un débat théorique permanent et ouvert à toutes les sensibilités et toutes les thématiques participant du progrès social et humain.
Il y a urgence à changer la perception des partis politiques par les citoyens.
Les partis politiques sont indispensables à l’exercice d’une véritable démocratie.
Au lieu d’être perçus comme des lieux plus ou moins mafieux, où l’on va quand on veut obtenir un avantage, un mandat d’élu, un lieu où règnent le cynisme, l’absence de véritables convictions, la corruption ou la magouille, toutes choses souvent imaginaires ou exagérées (mais pas toujours), les partis devraient être considérés par les citoyens comme des lieux de fraternité, d’apprentissage citoyen, de participation civique, d’élaboration de l’avenir.
Alors, chiche pour la rénovation ?
[1] Je ne noircis pas le tableau : si l’on s’en tient aux hebdos, Le Point, Valeurs actuelles, L’Express, le Figaro magazine, Paris match, sont ouvertement de droite, libéraux en économie, conservateurs en matière sociétale, Marianne, qui oscille dangereusement entre extrême centre européiste (soutien à Bayrou !)et souverainisme anti européens (??), exècre le PS depuis sa création, L’Obs, soi-disant social démocrate soutient la gauche comme la corde le pendu.et fournit à chaque numéro, avec une délectation non dissimulée, un peu de désespoir supplémentaire aux sympathisants de gauche. Le canard enchainé, par nature, est hostile au pouvoir, et se concentre donc sur tout ce qui est critiquable. Et je pourrai dresser un tableau comparable des quotidiens…
[2] Qui n’est pas pour rien dans la perte de confiance généralisée, des entreprises comme des ménages, qui entrave la reprise de la croissance économique…