Avoir les idées claires pour ne pas prendre les mauvaises décisions

Publié le par Xavier GARBAR

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Quelques réflexions en cette fin janvier 2024, dans un contexte politique très incertain, mais durant lequel il me parait essentiel d’avoir les idées claires pour ne pas prendre les mauvaises décisions.

Après la censure – plus que justifiée – du gouvernement de Michel Barnier, qui, en bon soldat du « macronisme » (malgré son appartenance personnelle à LR) en avait appliqué toutes les caractéristiques : refus obstiné du dialogue avec l’opposition, recettes ultra libérales maintenues, et dépendance de l’extrême droite, un changement de méthode a semblé apparaître avec la nomination de François Bayrou.

Ce changement de pratique a incité 3 des 4 principaux partis du Nouveau Front Populaire, parti socialiste, parti communiste et Ecologistes à négocier avec le nouveau premier ministre pour tenter d’arracher des avancées concrètes pour les français, tout en confirmant clairement se maintenir dans l’opposition et exclure toute coalition avec la droite.

La quatrième composante (minoritaire faut-il le rappeler, 71 députés sur 193) du « NFP », la France Insoumise, a d’emblée refusé cette méthode et exclu de discuter avec ce gouvernement. On aurait très bien pu imaginer avoir un désaccord de méthode au sein de la gauche, les uns pensant possible d’obtenir des avancées, les autres jugeant la chose vaine, et acter ce désaccord sans pour autant en faire un cas de rupture d’alliance dès lors que les partisans de la négociation restaient fermement dans l’opposition.

La direction de LFI, en a décidé autrement et a d’emblée choisi de stigmatiser violemment le choix de ses alliés (en particulier du parti socialiste) immédiatement taxé de « trahison » et en faisant un motif de rupture (comme s’il n’attendait qu’un prétexte pour la consommer). Comment alors ne pas interpréter cette « dramatisation » surjouée du moment comme la manifestation d’un changement de stratégie de LFI.

 JLM trimballe en effet ses troupes d’une stratégie à une autre, au gré des circonstances et de ses intérêts. Là, il semble en effet avoir abandonné, après l’avoir préconisée, la stratégie d’union de la gauche. Et opté pour la stratégie de type populiste "Peuple contre les élites »[1]. Avec comme objectif la démission ou la destitution de Macron et la tenue rapide d’une élection présidentielle en vue d’un duel Mélenchon-Le Pen.

Reconnaissons que les résultats obtenus lors de la négociation avec Bayrou avant son discours de politique générale sont mitigés. Les communistes et les écologistes les ont trouvés si insuffisants qu’ils ont finalement décidés de voter la censure. Les socialistes, jugeant que les concessions de Bayrou étaient intéressantes, quoiqu’encore insuffisantes, ont choisi de ne pas censurer cette fois, surtout pour ne pas rompre trop tôt et pouvoir poursuivre la négociation pour obtenir de nouvelles concessions dans la discussion budgétaire.

Et si, à cette occasion les socialistes finissent par obtenir de substantielles avancées, ce qu’on souhaite évidemment, on s’en félicitera car le rôle central du parti socialiste sera conforté, mais la donne restera inchangée, la gauche restant dans une opposition claire à une majorité de droite.

Personnellement, je suis très sceptique sur la capacité - ou la volonté réelle ? – de Bayrou de tenir tête à la pression de ses soutiens macronistes et LR. On a vu avec le vote de la majorité de droite du Sénat que la droite espère revenir sur quasiment toutes les avancées obtenues. Dans ces conditions, si la version finale du budget va in fine dans ce sens, les socialistes devront sans trembler voter la censure.

Mais qu’il y ait au final censure ou non censure, la méthode proposée par Olivier Faure et Boris Vallaud, négocier des avancées sociales contre une non censure, la volonté de ne pas choisir le chaos mais de souhaiter une stabilité et une sécurité institutionnelle, - méthode approuvée par une majorité d’électeurs de gauche, y compris des électeurs LFI – l’indépendance démontrée une nouvelle fois par la direction du PS vis-à-vis de LFI, tout cela restera à l’actif du PS.

On a en effet clairement constaté dans cette séquence, que le PS était redevenu – et surtout perçu comme tel par les médias – central à gauche, et un acteur décisif des mois à venir.

Et c’est ici qu’il ne faut pas en tirer de fausses conclusions et de mauvaises décisions.

Au diapason de la plupart des observateurs médiatiques, qui, prenant leurs désirs pour des réalités analysent cette séquence politique comme la rupture – enfin - du Nouveau Front Populaire, des voix se font entendre, au sein et aux marges du PS pour préconiser – notamment lors de son prochain congrès – une profonde réorientation de sa stratégie.

Ce nouveau cours a été ouvertement exprimé par François Hollande[2] : rupture avec LFI, union maintenue avec les écologistes et le parti communiste, élargissement de l'union avec Raphael Glucksman et son mini parti « Place Publique »,  Bernard Cazeneuve et sa « Convention », et « last but not least » avec …les « macronistes déçus », qui dit-il, sont nombreux (!). Et ses partisans de s’attribuer les mérites de la méthode choisie par les députés socialistes avec le gouvernement Bayrou et les bénéfices qu’en a tiré le PS dans le paysage politique.

L’avenir du parti socialiste et de la gauche va donc en grande partie se jouer lors du congrès prochain et de l’orientation qui en résultera.

Quelle ligne politique et quelle stratégie d’alliances ?

Depuis 2018 et l’arrivée d’Olivier Faure et son équipe à la tête du parti, une ligne franche de rupture avec le social libéralisme de la période « hollandaise » a été adoptée, dont on a retrouvé les principaux éléments dans le contenu et les propositions du « Projet socialiste » adopté en 2021[3], le programme électoral de la présidentielle de 2022, et le projet européen en 2024.

Et lors des congrès suivants et notamment celui de janvier 2023 qui a vu le parti se partager en deux camps quasi irréductibles, les textes d’orientation des adversaires internes de la direction socialiste n’étaient guère différents sur le fond, des analyses et propositions de cette dernière.

On peut donc prédire que les clivages qui s’annoncent ardus ne seront pas réellement visibles au travers des textes d’orientation des différents courants et qu’on discernera mieux le fond de l’orientation politique des opposants internes du PS et leur différence par leurs prises de position dans l’actualité et leur choix en matière d’alliances.

Faisons-en un rapide inventaire, exprimés plus ou moins ouvertement par certains dirigeants socialistes ou par leur soutiens (Joffrin, Cambadélis, et d’autres) dans les médias :

  • D’abord bien sûr un rejet viscéral de l’alliance avec la France Insoumise[4] dès la formation de la NUPES en 2022,
  • L’accusation ressassée ad nauseam – bien que jamais démontrée - de la soumission du PS à LFI,
  • Les attaques personnelles parfois violentes et déplacées contre Olivier Faure, portées par certain(e)s notables[5]
  • La colère fortement exprimée par certains dirigeants de la gauche « hollandienne » dès le mois d’Août 2024 devant le non-soutien automatique de la direction du PS à la candidature de Bernard Cazeneuve comme premier ministre,
  • Les prises de position à l’automne favorables à la formation de compromis allant jusqu’à la coalition avec la droite (« comme dans les autres pays européens »)

Toutes ces prises de position, qui éclairent mieux que les textes d’orientation des congrès la réalité de la ligne politique de leurs auteurs, peuvent parler à l’adhérent du PS, souvent âgé, et qui n’a dans son parcours militant connu qu’un PS dominant (et dominateur) à gauche et qui a donc du mal à se situer dans une configuration différente.

Il est donc nécessaire d’avoir les idées claires et de répondre à la tentation du retour aux errements passés qui avaient mené le courant socialiste au fossé.

  1. La ligne politique : malgré les difficultés évoquées plus haut, il est indispensable de trancher les questions de fond et en faire un engagement solennel :

Voulons-nous réellement une franche rupture avec le social libéralisme ? Ce qui peut se traduire concrètement par des engagements sur la politique économique et sociale, l’interventionnisme public dans l’économie, la transition écologique, la réforme de la politique européenne ou comment la contourner (niveaux de déficit public et d’endettement, politique commerciale, services publics, etc.), la réforme fiscale, la réforme des retraites, etc.

Si le PS confirme son positionnement politique « à gauche », il conserve l’acquis des « années Faure » : le retour du PS au sein de la gauche, condition indispensable pour pouvoir prétendre un jour y occuper une place – et a fortiori un rôle -central. Si des ambiguïtés se font jour, si le PS déplace son centre de gravité vers le centre et si on assiste à un retour d’une forte perméabilité aux politiques libérales, il peut abandonner son ambition à fédérer la gauche et rassembler ses différentes composantes.

  1. Et donc quelle stratégie ?

 Des lignes précédentes découlent évidemment les choix stratégiques. L’union « nouvelle manière » préconisée par François Hollande qui exclut la partie la plus radicale de la gauche, au-delà de savoir si elle est souhaitable, est-elle même crédible ? On peut en douter fortement. Et pour plusieurs raisons.

Arithmétiquement d’abord. Aux élections européennes, le total des gauches, hors LFI, atteint à peine 22 % des suffrages.

En cas de présidentielle où l’enjeu sera de parvenir au second tour, (et en supposant possible une candidature PS-PCF-Ecologistes, ce qui n’est pas acquis), le risque est grand de louper la marche et de laisser la place une fois de plus à un duel droite vs extrême droite. D’autant que dans cette hypothèse, une candidature Mélenchon dépasserait sans doute le score de LFI aux européennes et diminuerait d’autant celui de notre hypothétique candidat commun.

L’apport espéré de « macronistes déçus », espoir incertain de François Hollande, reste à ce stade un vœu pieux qui n’est attesté par aucune enquête d’opinion, aucune création de mouvement politique significatif, aucun ralliement même d’individualités connues ou inconnues.

Par contre le score obtenu par une alliance de toute la gauche dépasse les 30 %, résultat certes historiquement faible, mais suffisant pour atteindre le second tour et faire face à l’extrême droite au second tour.

Cette hypothèse exige deux conditions :

  • Qu’il y ait une candidature unique de toute la gauche
  • et pour espérer agglomérer au score de ce candidat la partie nécessaire de l’électorat plus modéré dans un nouveau « front républicain » capable de battre l’extrême droite au second tour, que ce candidat ait un profil adéquat, ce qui exclut évidemment un JLM ou un de ses clones, mais ne disqualifie a priori aucune des composantes de la gauche

Bien sûr, on voit bien les arrière-pensées de certains quand ils préconisent la réforme rapide du mode de scrutin et l’adoption de la proportionnelle, qui, en l’état actuel du rapport de force politique en France, conduirait sans doute à une absence de force majoritaire et à la tentation quasi automatique de former des coalitions. Là, on en revient au fond des lignes politiques et à leur compatibilité. La ligne politique du PS est-elle compatible avec celle de la macronie, du centre, de la droite ? La réponse est non, sauf changement de ligne…quel que soit le mode de scrutin.

Au-delà de l’arithmétique, d’autres raisons rendent le vœu des « hollandistes » caduc. Ils défendent toujours disent-ils l’union de la gauche, avec le PCF et Les écologistes.

Ils oublient cependant un détail, et pas des moindres : c’est que ces deux alliés putatifs ne souhaitent certainement pas cette configuration,

  • pour des raisons de fond – et on l’a vu avec leur décision de finalement censurer le gouvernement Bayrou après des négociations qu’ils jugèrent négatives,
  • parce qu’il est tout aussi improbable qu’ils acceptent une union avec Cazeneuve et encore moins avec des macronistes, fussent-ils « déçus »
  • et stratégiquement parce qu’il y a peu de chance qu’ils acceptent une alliance dans laquelle, ils perdent la position médiane qu’ils ont dans le NFP.

La seule voie réaliste, bien qu’il soit difficile à ce jour d’être optimiste, c’est de

  • Confirmer la ligne de rupture avec le social libéralisme, et son ancrage « à gauche »,
  • Continuer à promouvoir l’union de toutes les composantes de la gauche (ce qui n’exclut pas l’ambition légitime d’y jouer un rôle central en tant que gauche « républicaine »),
  • Maintenir la stratégie d’union type NFP aux législatives,
  •  Agir activement et rapidement pour présenter une candidature unique de toute la gauche à l’élection présidentielle. Il faudra pour ce faire savoir s’opposer aux forces centrifuges, populistes ou sociales-libérales.

 

 

[1] Les résultats des législatives de juillet 2024, malgré la victoire relative du Nouveau Front Populaire, n'ont pas été à l'avantage de LFI qui a perdu quelques sièges alors que le PS et les écologistes ont sensiblement progressé et que le PC s'est à peu près maintenu. Contrairement à ce qu’affirmaient les adversaires de la NUPES, LFI n'était déjà pas hégémonique dans l'alliance de 2022, mais il y avait cependant une nette prédominance. Après les législatives de juillet, LFI a perdu dans le NFP cet avantage et se retrouve vraiment minoritaire. Surtout qu'il a perdu en plus quelques pointures historiques, Ruffin, Corbières, Autain et quelques autres qui se sont réfugiés après la purge dont ils ont été victimes dans le groupe des écologistes. Dès lors JLM cherche depuis des mois comment rompre avec ses alliés - tout en cherchant à leur en faire porter la responsabilité. Le maintien du NFP ne l'intéresse plus dès lors qu'il a compris que ses trois partenaires n'accepteront probablement jamais qu'il soit leur candidat unique de la gauche aux présidentielles. Donc, révision de stratégie, on ne cherche plus l'union des gauches, on opte pour la stratégie de type populiste "Peuple contre les élites." On ne cherche plus à créer un rassemblement interclassiste à travers l'union des partis de gauche, on table -avec un certain succès il est vrai - sur la mobilisation des abstentionnistes, des jeunes des banlieues, des populations issues de l'immigration, toutes catégories peu politisées, peu informées des questions politiques en jouant plutôt sur les ressorts émotionnels ("la police tue") et les ambiguïtés savamment distillées (sur la laïcité, sur la Palestine, ...). L'empressement à vouloir la démission de Macron et une nouvelle présidentielle rapidement, d'où l'intransigeance actuelle ("tout le programme ou rien) s'explique par la volonté de doubler le reste de la gauche qui ne peut désigner si vite un candidat commun et en pensant que ces populations peu politisées ne connaîtront que le nom de Mélenchon. La colère de Mélenchon est donc du théâtre, la situation actuelle lui convient parfaitement.

 

[2] François Hollande qui, revenant sur le devant de la scène pour donner des leçons aux militants socialistes allant jusqu’à appeler à remplacer Olivier Faure comme premier secrétaire, a manifestement oublié qu’il est le principal responsable de la quasi dissolution du courant socialiste à l’issue de son quinquennat largement raté, et au sujet duquel il n’a à ce jour émis aucune auto critique.

 

[3] « Il est temps de vivre mieux » adopté à l’automne 2021

[4] « France Insoumise » qui, faut-il le mentionner, semble tout faire pour alimenter les arguments des adversaires de l’alliance ( par les fréquents dérapages de langage de ses dirigeants, le comportement souvent infantile de ses députés, les erreurs de casting pour un nombre non négligeable de ses candidats : violences conjugales, harcèlement de salariés et bénévoles, addiction au cannabis ou passé de dealer, passage à l’extrême droite,  ambiguïtés volontaire sur la laïcité et le conflit israélo palestinien, etc. )

[5] Accusations qui ne peuvent s’expliquer que par le dépit de voir quelqu’un qu’ils considéraient comme un « second couteau » occuper la direction et les dépasser en notoriété…

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