L’esprit du 11 janvier : partout l’exigence républicaine !
Lors des manifestations monstres des 10 et 11 janvier 2015, des millions de citoyennes et citoyens, de tous milieux sociaux, de toutes opinions, de toutes origines, de tous âges, se sont mobilisés[1] en réponse aux odieux attentats « islamo-fascistes » des jours précédents, pour témoigner de leur compassion envers les victimes, mais aussi pour proclamer fièrement leur attachement viscéral, sur fond de Marseillaise et de drapeaux tricolores, aux valeurs républicaines.
Après cette séquence, je crois pouvoir affirmer que plus rien ne sera plus comme avant. Ou plutôt, plus rien ne devra être comme avant.
Car cette irruption soudaine, massive, historique, de ce peuple de France que l’on croyait endormi, anesthésié, dépressif, perdu dans ses égoïsmes corporatistes, a certes révélé ses inquiétudes, ses angoisses, ses émotions, mais surtout a confirmé la profondeur en son sein des valeurs humanistes de la France des Lumières, et exprimé et revendiqué, face au monde entier, ses demandes, ses exigences, ses espérances.
Ce qu’ont exprimé les marches républicaines :
Au travers des slogans, des pancartes et banderoles, des chants, des dialogues et des discussions, tout y était :
L’amour de la liberté d’abord, la belle liberté de conscience, la fierté de notre Nation, qui permet, par l’application plus que centenaire du principe de laïcité, à chacune et chacun de penser ici comme il l’entend, de croire ou de ne pas croire, de croire puis de ne plus croire ou l’inverse, de s’affilier à la religion de son choix, d’en changer ou de n’en avoir aucune, et tout cela dans le respect et l’égalité de chacun.
En découle la nécessité absolue de la liberté de la presse et du droit à l’insolence et à l’impertinence envers les puissants, les politiques, les religions. Comment ne pas s’émouvoir que dans le pays de Beaumarchais et de Voltaire, les tueurs aient choisi comme premières victimes des humoristes ?
L’exigence de sécurité ensuite, qui n’est rien d’autre que le droit à la « sûreté » de l’article II de la déclaration des droits de l’Homme de 1789, sentiment évidemment exacerbé au vu des circonstances, mais qui ne réclamait point la vengeance, la répression et des lois d’exception mais à travers la reconnaissance, historique aussi, manifestée par la foule aux forces de l’ordre, l’exigence d’une sécurité républicaine renforcée sans doute mais dans le cadre d’un Etat de droit,
L’exigence d’égalité aussi, symbolisée par le mélange, dans les rassemblements, de citoyens de tous milieux sociaux, mais aussi par l’affirmation mille fois répétée du refus de l’amalgame, de l’égalité de toutes les croyances et non croyances. Paradoxalement, la relative abstention de nombreux citoyens de culture musulmane, ainsi que les incidents survenus dans certains établissements scolaires où des adolescents ont refusé de s’associer aux instants de recueillement, ont mis en évidence aux yeux de tous, et surtout de ceux qui ne voulaient pas voir, les ravages de l’ignorance, du chômage, de la précarité et de la ségrégation géographique , sociale, ethnique qui conduisent certains quartiers de banlieue au communautarisme et permettent à l’islamisme radical de s’opposer frontalement aux valeurs républicaines. Il faudra en tirer toutes les conséquences en matière de sécurité, d’éducation mais aussi et surtout de lutte contre les inégalités, notamment en matière d’aide à l’emploi pour sortir ces quartiers de la misère sociale où ils sont plongés, terreau favorable à toutes les dérives délinquantes et extrémistes.
L’exigence d’unité et de dignité enfin.
Unité patriotique des citoyens au-delà de leurs croyances et de leurs opinions, autour des valeurs partagées de liberté, égalité, laïcité, fraternité etc.
Exigence de dignité, qui remet chaque chose à sa juste place, remet de l’ordre dans la hiérarchie des préoccupations de tous et de chacun, relativise les fausses dramatisations médiatiques sur des objets subalternes, impose aux médias, aux partenaires sociaux et aux politiques de s’interroger et de modifier sensiblement leur comportement.
L’exigence d’une réforme morale :
Aux médias, les évènements eux-mêmes et la fantastique réaction du peuple français devraient imposer une grave réflexion sur leurs pratiques.
Comment, après cette réapparition du tragique dans l’Histoire, continuer ou recommencer à traiter l’actualité avec autant de superficialité, de légèreté, d’irresponsabilité ?
Comment continuer à tout mettre sur le même plan, sans hiérarchie, sans recul, les otages de Boko Haram et le PSG, l’épidémie Ebola et les déboires de Nabila, le chômage et les indécentes révélations de l’ex soi-disant « première dame » ?
Comment, après la digne attitude généralement observée ces derniers jours par la plupart des femmes et hommes politiques, de tous bords[2], comment continuer à les dévaloriser en permanence, en ne retenant que leurs erreurs, leurs bafouillements, leurs couacs, tout en ignorant, donc en cachant (délibérément ?) au public, leur travail de terrain, leurs réflexions, leurs débats ?
Comment, en un mot, sans attenter à la liberté d’expression et de contestation, contribuer à un débat démocratique de qualité et non à sa dégradation ?
Comment la course à l’audience et aux recettes publicitaires qui vont avec, peut-elle être sinon supprimée, du moins contrebalancée par une recherche sérieuse de l’information honnête, complète, équilibrée, une information contribuant à la formation des citoyens ?
Aux acteurs de la vie sociale, patrons et syndicats, la gravité de ces premiers jours de l’année, l’aspiration à l’unité et la solidarité puissamment manifestée par la population, impose, me semble-t-il, d’être à la hauteur.
Sans doute les évènements ne suppriment pas les problèmes existants, les contradictions, les conflits d’intérêt, mais ils poussent à une attitude digne et responsable. La sur-dramatisation exprimée ces dernières semaines par certaines professions, pourtant pas forcément les moins bien loties, et leurs exigences étonnantes en cette période de crise et de vaches maigres, leur refus de tout changement, et pour tout dire leur égoïsme, laissent pour le moins un goût amer.
Est-ce trop demander que, à rebours de l’étonnante profession de foi d’un leader syndical[3], les acteurs de la vie sociale, dans leurs négociations et leurs confrontations, légitimes, ajoutent à la défense des intérêts de leurs mandants le souci de l’intérêt général ?
Combien de temps encore les chefs d’entreprise accepteront-ils de leur côté d’être représentés par des organisations plus conservatrices et réactionnaires que la plupart d’entre eux ? Les syndicats patronaux, par leur intransigeance, leur extrémisme, leur peu d’empressement à prendre leur part de responsabilité dans la lutte pour l’emploi en contrepartie des plus importants allègements de charges jamais décidées jusqu’alors, ou encore leur refus de toute participation des salariés au contrôle et moins encore à la gestion des entreprises, nuisent clairement à l’établissement d’un climat social de dialogue. Les extrêmes se nourrissant les uns des autres, comment s’étonner ensuite que les salariés soient tentés de voter majoritairement pour des syndicats tout aussi peu constructifs ?
Quant au personnel politique, comprendra-t-il qu’une occasion historique inespérée de renouer les liens distendus avec le peuple citoyen se présente, qui ne peut pas et ne doit pas être perdue.
Après de tels évènements, il me semble en effet impératif que ce qu’on appelle la « classe politique » redore son blason, et se hisse à la hauteur de la situation. Il en va de l’avenir de la démocratie.
L’exigence d’une réforme morale s’impose évidemment, sans laquelle ces tragiques évènements suivis de la magnifique réaction du peuple français n’auront pas eu la suite historique qu’ils méritent[4].
[1] Et il serait réducteur de ne retenir que les trois millions de manifestants. Il convient de leur ajouter tous ceux, encore plus nombreux, qui ne pouvaient manifester mais qui, de cœur, étaient partie prenante de cet élan formidable de solidarité et d’affirmation des valeurs humanistes de la Nation.
[2] A l’exception du Front National, qui, c’est vrai, bien que toléré parce que ne violant pas (encore ?) les lois, n’est en rien porteur des valeurs républicaines
[3] « Nous ne sommes pas gestionnaires de l’intérêt général. ... Nous représentons les intérêts matériels et moraux des salariés »
J.C Mailly, secrétaire général de FO – Le Monde 20 mars 2014
[4] Je reviendrai prochainement sur quelques éléments de réflexion pour une réforme morale de la gauche de gouvernement