VINGT ANS APRES: Retour à la « vieille maison »
Après mûre réflexion, ma décision est prise, je reprends ma carte du parti socialiste.
Au-delà de l’émotion qui m’étreint à l’occasion de ce retour au sein de la « vieille maison »(1), parmi ceux que je n’ai jamais cessé de considérer comme ma famille, je ressens la nécessité de m’en expliquer auprès de ceux qui pourraient s’en étonner, à l’intérieur comme à l’extérieur du parti.
Je ne renie rien de mon parcours ni de mes convictions. Je pense simplement aujourd’hui que celles-ci y trouveront à s’employer avec plus d’efficacité et de pertinence.
Il y a vingt ans en effet, en 1992, j’avais décidé, le cœur amer, de quitter le PS.
Pourquoi en étais-je arrivé là ?
Retour sur quarante ans de militantisme
J’étais entré au MJS en septembre 1973, plein d’espoir dans le nouveau parti socialiste que dirigeait François Mitterrand depuis le congrès d’Epinay de 1971.
J’avais dix huit ans, avais flirté quelque temps avec les jeunes communistes, lutté avec eux plutôt (et aussi flirté un peu d’ailleurs !) dans les comités d’action lycéens, car ils constituaient la seule force politique présente dans mon petit lycée d’Amboise en Touraine.
Je lisais aussi assidument « Rouge », l’hebdo trotskiste que me conseillait une grande sœur, et avait suivi avec passion l’expérience du socialisme démocratique du président Allende au Chili…expérience bientôt écrasée dans le sang par le coup d’Etat militaire de Pinochet.
Mais je choisis finalement le nouveau parti socialiste, celui qui proclamait alors la « rupture avec le capitalisme » (« celui qui refuse la rupture avec le capitalisme n’a pas sa place au parti socialiste » avait proclamé François Mitterrand), m’y engageais sous la bannière du CERES de Jean Pierre Chevènement, George Sarre et Didier Motchane, dont l’apport avait permis à Mitterrand de l’emporter contre Guy Mollet dans sa conquête du parti.
Uni au parti communiste, encore très puissant à l’époque, autour d’un programme commun de gouvernement, le PS offrait alors la promesse crédible d’un passage au socialisme par la voie démocratique
Le courant de gauche que constituait le CERES, tantôt allié à la majorité du parti, tantôt refoulé dans la minorité, contribua alors fortement aux progrès de la gauche et à sa victoire en 1981.
Jusqu’en 1983-1984, je fus alors un militant hyperactif, au sein des Etudiants socialistes, dans le mouvement syndical étudiant, dans mes sections PS successives.
Colleur d’affiches, rédacteur et tireur de tracts la nuit (ah les stencils qui se déchiraient au milieu des tirages !), vendeur de l’Unité, l’hebdo du PS de l’époque, sur les marchés les samedis ou dimanches, distributeur de propagande dans les boites à lettres qui n’étaient pas encore rendues inaccessibles par les digicodes, participant passionné des multiples réunions, bientôt secrétaire de section et membre des instances fédérales, j’ai traversé ces années plein d’espérances, au sein des différents départements où me menaient mes études puis mon travail (L’Indre et Loire poperéniste de Paul Lussault, le Loiret rocardien de Michel de la Fournière, l’Essonne chevènementiste de Paul Loridant…).
J’étais de tous les congrès, potassant les interminables contributions, motions, amendements, que je lisais intégralement, annotant, soulignant, préparant l’argumentation pour défendre en section dans le climat passionné de l’époque, parfois conflictuel mais toujours fraternel, le « bon texte », celui de mon courant…qui fusionnait d’ailleurs une fois sur deux lors du congrès national, à l’issue d’épuisantes commissions de résolution nocturnes, avec la motion que nous avions vilipendée en section les semaines précédentes…
Plein d’espérances, nous le fûmes au plus haut point le 10 mai 1981, quand nous défilâmes enthousiastes, sous la pluie, aux Champs Elysées, après la belle victoire de Mitterrand, aboutissement d’une décennie de combat.
Cela dura encore jusqu’à la triste parenthèse ouverte en 1983 et jamais refermée…parenthèse libérale qu’ouvrit, après de réelles hésitations, un Mitterrand déchiré, décidant, au nom de ses convictions européennes sincères, la pause dans les réformes de structure et le ralliement de fait à la norme néolibérale qui triomphait partout.
Les couleuvres devenant de plus en plus difficiles à avaler, je pris alors mes distances avec l’action militante – ça tombait bien, ma carrière professionnelle m’en offrait le prétexte.
Je conservai cependant ma carte du PS jusqu’en 1992, date où la coupe fut pleine après la 1ère guerre du Golfe et l’assujettissement au leadership américain, et surtout l’Acte unique et le Traité de Maastricht qui gravaient dans le marbre l’abandon de souveraineté monétaire, budgétaire et commerciale, l’enchaînement à la politique allemande (déjà !), monnaie chère, banque centrale indépendante, libéralisation sans contrepartie (notamment en termes d’harmonisation fiscale) de la circulation des capitaux, acceptation du sacro-saint principe de concurrence « libre et non faussée », qui conduisit au désarmement industriel des pays européens et au démantèlement des services publics…
A l’époque, les camarades socialistes, Jean Luc Mélenchon (2) en tête, nous juraient que c’était le sacrifice qu’il fallait consentir pour obtenir en échange la construction d’une Europe sociale et le plein emploi…
La suite est connue…L’Europe de Maastricht n’apporta ni l’emploi, ni le progrès social, nulle contrepartie sociale n’équilibrant les ravages du libéralisme triomphant. Cette Europe-là ne fut pour l’essentiel que le cheval de Troie de la mondialisation financière sur notre continent.
Je ne rejoignis cependant pas tout de suite le « Mouvement des Citoyens » que créa Chevènement dans la foulée, n’ayant que peu de goût pour les groupuscules, même si je partageais ses analyses.
Je ne franchis le pas que quelques mois avant la candidature de JP Chevènement à la présidentielle de 2002.
Candidature toujours controversée, en raison de l’élimination dès le premier tour d’un Lionel Jospin trop confiant, certains persistant, par paresse intellectuelle, à désigner Chevènement comme seul responsable (3) de cet évènement tragique pour la gauche, se dédouanant ainsi de toute responsabilité dans la défaite.
Je ne doute pas un instant que l’histoire rendra justice à Chevènement (4), un des rares hommes d’Etat à avoir vu juste avant tous les autres. Ses analyses de la mondialisation (mise en concurrence des systèmes sociaux à l’échelle de la planète, gigantesque risque pour le monde entier d’un capitalisme financier rapace, conduisant à la compression des revenus des ménages et à leur endettement insensé dans de nombreux pays, les Etats Unis en premier lieu) se sont hélas révélées tragiquement justes.
Les militants formés par la pensée chevènementiste n’ont ainsi pas été surpris par la crise des « subprimes ». Ils ne découvrent pas la désindustrialisation et dénoncent depuis deux décennies le rôle néfaste d’un euro surévalué, mortel pour les exportations européennes. Ils combattent sans relâche l’intégrisme libéral de la commission européenne qui, exécutante zélée de la lettre des traités successifs (5), s’oppose à la constitution de champions industriels européens, laisse les frontières de l’Union ouvertes à tous vents aux produits des pays à bas coût de main d’œuvre, et fragilise les services publics.
Installé à limoges depuis quelques années, je fus donc à partir de 2002 un des animateurs départementaux du Mouvement des Citoyens, bientôt rebaptisé Mouvement Républicain et Citoyen.
Longtemps mis en quarantaine par le PS, pour le « punir » de 2002, le MRC resta cependant fidèle à son insertion dans la gauche républicaine et, le temps passant, les esprits évoluant, nous redevînmes fréquentables, d’autant plus que le mouvement, privé progressivement de ses élus, s’étiolait inexorablement.
Car avoir une pensée juste ne suffit pas. Encore faut-il avoir aussi une stratégie pertinente pour être visible, audible.
Il faut l’avouer aujourd’hui, le MRC ne vaut que par la présence à sa tête de Chevènement. Sans lui, le MRC n’est rien. Et même avec lui, sans relais dans les médias, sans implantation dans les collectivités, sans représentation parlementaire ou presque, et enfin, « the last but not the least », sans leader crédible – ce qui veut dire aujourd’hui sans leader « présidentiable » - préparé pour assurer la succession du fondateur (6), notre message ne touche qu’une partie infinitésimale des citoyens.
Parler juste c’est bien, mais parler dans le vide…
En juin 2011, à l’unanimité, les militants MRC du Limousin, en désaccord avec l’orientation nationale du mouvement, décidèrent de participer aux primaires citoyennes.
Pour ma part, je m’engageais activement dans le soutien à la candidature d’Arnaud Montebourg dont les thèses me paraissent s’inscrire dans la continuité des combats de la gauche républicaine qu’elles renouvellent en lui apportant de surcroit une perspective d’avenir.
Me prononçant (avant même Montebourg) pour François Hollande au deuxième tour de la primaire au vu de la réponse qu’il fit à la lettre ouverte du député de Saône et Loire, c’est donc sans état d’âme que je pouvais m’engager dans la campagne derrière sa candidature.
La candidature de Jean Pierre Chevènement déclarée à l’automne consterna nombre de militants du MRC. Mal venue, forcément incomprise de l’opinion, nous la jugions sans avenir et condamnée à une fin sans gloire (7). Comme beaucoup d’entre eux, j’essayai une dernière fois une démarche interne prônant un ralliement rapide à François Hollande.
Mes différents courriers étant restés sans réponse, j’en tirai alors la conclusion qui s’imposait.
J’ai donc jugé que le moment était venu de tourner la page.
Et de commencer cette nouvelle étape par un engagement sans restriction pour la victoire de François Hollande.
(1) Au congrès de Tours en 1920, lors de la scission entre communistes et socialistes, Léon Blum, à la tête de la minorité qui refusait le leadership soviétique, proclama qu’il était nécessaire que quelques uns gardent la « vieille maison ».
(2) Reconnaissons-lui, l’honnêteté, ainsi qu’à quelques autres, de reconnaître aujourd’hui leur erreur d’alors.
(3) On sait aujourd’hui que le PRG avait proposé de retirer leur candidate devant le risque que représentait JM Le Pen et que Lionel Jospin a décliné l’offre...
(4) Mais pas ses contemporains. On pardonne rarement à celui qui a eu raison avant les autres.
(5) Maastricht, Amsterdam, Lisbonne…et celui qui s’annonce
(6) Il n’est pas irrespectueux de constater qu’à 73 ans, on n’est plus un « présidentiable » crédible
(7) Ce qui advint finalement ! J’espère cependant toujours que Chevènement annonce le plus vite possible son soutien à François Hollande.