PACTE DE RESPONSABILITE : COMPROMIS HISTORIQUE OU SIMPLE PERIPETIE ?
En proposant, vingt mois après son accession à la présidence, un « pacte de responsabilité » au patronat français, baisse des charges sociales et réduction des dépenses publiques contre engagement à créer des emplois et à développer le dialogue social, François Hollande a-t-il franchi la ligne, celle qui sépare le socialisme du social libéralisme ? A–t-il définitivement, en assumant sa nature social-démocrate, trahi ses engagements et rompu avec les idéaux de la gauche ? Cette proposition trouvera–t-elle un écho auprès des partenaires sociaux, Permettra-t-elle l’avènement d’un compromis historique permettant de changer durablement la donne sociale et politique en France, ou ne sera-t-elle finalement, faute de répondant, qu’une habile manœuvre politicienne prenant à revers l’opposition ?
Ainsi François Hollande serait social démocrate ? Sans blague ? Et on ne me disait rien ?
Si l’on peut comprendre la surprise, le scepticisme (ou la déception ?) du simple citoyen (qui, sans être indifférent à la vie politique, ne suit ses développements que de loin et à travers ce qu’en rapportent les médias), il faut par contre une sacrée dose de mauvaise foi chez les observateurs avertis, je veux nommer ici les journalistes bien sûr, les responsables et militants politiques de tous bords, pour présenter ça comme un évènement !
Que l’on lise ses derniers livres[1], ses propositions comme candidat aux primaires socialistes, son programme présidentiel (les 60 engagements pour la France), ses discours, y compris celui du Bourget[2], et surtout tout son parcours politique personnel, et on ne pourra que constater que la constance et la continuité l’emportent sur le changement, que le « tournant », le « virage » ou la volte-face n’existent que sous la plume ou dans la bouche de commentateurs malveillants , masochistes , paresseux, ou les trois à la fois !
Encore une fois, aucune décision prise depuis le début du quinquennat n’est en contradiction avec ce que pense, dit et écrit le chef de l’Etat depuis des années.
Solidaire
Je le dis d’autant plus aisément que je n’ai pas toujours suivi, c’est le moins qu’on puisse dire, tous ses choix et que je ne partage pas toutes ses convictions « sociale-démocrates ».
Comme beaucoup d’autres, c’est avec les yeux ouverts que j’ai soutenu la candidature de François Hollande après sa victoire aux primaires de la gauche.
Comme d’autres, moins nombreux peut-être, je reste solidaire malgré les difficultés, malgré mon scepticisme devant certaines mesures, malgré des résultats qui tardent à se manifester.
Je reste solidaire car je trouve un peu infantile, immature, et un peu lâche, de rompre les rangs au premier obstacle, de prendre pour argent comptant les doctes commentaires, systématiquement hostiles, d’experts autoproclamés (qui ne sont en fait que des acteurs engagés…contre le gouvernement).
Je reste solidaire parce que d’une manière générale je pense toujours qu’obtenir un peu est mieux que ne rien obtenir du tout, qu’il vaut mieux participer à un progrès social même timide en essayant de peser de l’intérieur plutôt que se complaire dans une posture de refus systématique du moindre compromis, et ce faisant contribuer à développer le désespoir social.
Je reste solidaire parce que – c’est une conviction personnelle – je crois sincèrement que François Hollande est un homme de progrès, un humaniste, un républicain sincèrement attaché au modèle social français et désireux de permettre à notre pays de sortir par le haut de la crise dans laquelle les élites l’ont plongé depuis des décennies.
Alors, c’est vrai, je reste insatisfait ou sceptique devant un certain nombre de mesures prises (ou non prises), la réorientation (en faveur de la croissance et de l’emploi) de la construction européenne reste pour l’essentiel une promesse, les ministres, à l’exception notable d’ Arnaud Montebourg, me semblent souvent trop timides face à l’intégrisme libéral de nombreux commissaires européens, la technocratie de Bercy, nourrie au biberon de l’ultra libéralisme, me semble toujours avoir une emprise excessive sur l’actuel ministre des finances, mais j’estime pour autant que rien n’est encore perdu. Impatient certes, mais pas défaitiste après seulement quelques mois d’exercice du pouvoir.
Bien sûr, comme beaucoup, et notamment comme mes camarades qui se disent « à la gauche de la gauche », je reste persuadé que sans une relance de la consommation à l’échelle européenne, sans une gestion monétaire plus dynamique et soucieuse de l’emploi, aucune politique ne pourra durablement créer des emplois, faire reculer le chômage et réduire les déficits publics et l’endettement des Etats.
Mais contrairement à eux je ne suis pas sûr que ce soit incompatible avec une politique de rigueur budgétaire, et d’amélioration de la compétitivité pourvu qu’un équilibre soit trouvé afin que celle-ci ne casse pas les premiers signes de reprise de l’activité. Exercice délicat, j’en conviens, mais avons-nous le choix ?
Crédibilité
Comment, face aux déficits publics abyssaux légués par le quinquennat précédent, ne pas gérer avec rigueur les deniers publics?
Quelle crédibilité, quelle influence aurait la France en Europe auprès de ses partenaires et notamment de l’Allemagne[3], comment espérer infléchir le cours de la construction européenne si nous laissions filer nos déficits, notre dette, avec les conséquences que l’on sait sur les marchés financiers.
Là encore, il convient de placer le curseur au juste endroit. La voie de l’augmentation de la recette par l’impôt étant, dans le contexte actuel, bouchée, la seule marge de manœuvre disponible réside dans les économies à réaliser dans les dépenses publiques. Rien de tabou à cela si la réduction des dépenses ne s’opère pas à l’aveugle et s’opère là où elle aura le moins de conséquences sur l’activité économique. J’y reviendrai.
Par ailleurs, le rapport Gallois a démontré l’effectivité de la dégradation de la compétitivité industrielle de la France intervenue dans la dernière décennie. Même si elle n’est pas due au seul coût du travail, elle lui est cependant en partie imputable. D’où le CICE et la proposition d’allègement des charges sociales par suppression du financement des allocations familiales par les entreprises.
Pas question là-dedans de quelconques « cadeaux » aux patrons ou aux classes privilégiées, mais aide financière massive de l’Etat aux entreprises face à la concurrence internationale. Aux entreprises et non aux patrons ou aux actionnaires. Une entreprise c’est aussi des salariés.
D’où la notion de « pacte ». En contrepartie de l’allègement du coût du travail qui résulterait de ces mesures, les chefs d’entreprises s’engageraient dans la création massive d’emplois et l’amélioration sensible du dialogue social.
Un compromis social historique ?
Nous sommes dans une économie de marché. Plus personne ne le conteste, même Olivier Besancenot !
Personne, à ma connaissance, aucun parti, aucune femme, aucun homme politique, ne préconise dans son programme la nationalisation du secteur privé.
Donc, même si la gauche souhaite conserver de puissants services publics et ne renonce pas à une intervention volontariste de l’Etat dans certaines circonstances et dans certains domaines d’activité (énergie, transports, etc.), tout le monde convient que l’immense majorité des entreprises, de la production industrielle et de l’économie de service relèvent et continueront à relever du secteur privé.
Le fondement du pacte de compétitivité proposé par François Hollande réside dans cette constatation de base : on ne relèvera pas l’économie de ce pays si un compromis social historique n’est pas trouvé entre les salariés d’une part, les entreprises d’autre part.
Si chacun continue de jouer sa partie sans faire de concessions, en étant persuadé que l’autre a tort, la France ne s’en sortira pas. La relance de notre économie passe par le retour de la confiance. Confiance en l’avenir, confiance en notre système social, confiance dans les entreprises, confiance en nos services publics.
Qui dit pacte dit engagement réciproque, acceptation du compromis, et sans doute, dépassement des positionnements idéologiques habituels.
Sommes nous dans une période de notre histoire où les différents acteurs politiques et économiques de ce pays
seraient prêts à cet effort ?
Est-ce que la situation économique (effondrement de notre industrie, marges financières des entreprises au plus bas, compétitivité dégradée), sociale (taux de chômage record, précarité généralisée, explosion des inégalités), et morale (pessimisme général, perte de confiance dans les partis, les syndicats, les élites,…) de la France n’est pas si grave ? Allons-nous baisser les bras, accepter le déclin irréversible de notre pays, alors même que nous détenons les ressources, économiques, culturelles et humaines, que nous avons tous les atouts en main pour un redressement national ?
Les entrepreneurs ont besoin de stabilité fiscale, d’un allègement du coût du travail, d’un environnement monétaire favorable, d’une protection contre les concurrences déloyales, d’un accompagnement de l’Etat et des collectivités publiques, et enfin, tout aussi indispensable, d’une relance de la demande, qui seule peut remplir les carnets de commande et les inciter à investir et créer des emplois.
Le CICE, le pacte de responsabilité, le travail de fond du ministère du redressement productif, et son souhait de renouer avec la politique industrielle, la politique d’influence de François Hollande pour réorienter l’Europe vers une politique de croissance, vont clairement dans ce sens.
En décidant cette politique de la main tendue au monde des entreprises, François Hollande prend le risque de prendre à contrepied son propre camp, ses électeurs, ses soutiens traditionnels. A ceux-ci il demande effort et patience, l’effort de comprendre que le temps de la redistribution n’est pas arrivé, que le redressement de l’économie et des finances publiques exigent des sacrifices. Il sait que s’il échoue, son avenir politique est compromis.
Le patronat français, dans toutes ses composantes, sera – t-il à la hauteur ?
Sera-t-il capable de dépasser ses préjugés, sa fréquente proximité politique avec la droite conservatrice, pour saisir la perche qui lui est tendue ? Comprendra-t-il que l’occasion ne se représentera peut-être plus et en tout cas certainement pas avec un retour de la droite ?
Acceptera-t-il de renoncer à la tentation de la surenchère et faire, lui aussi, les concessions indispensables (en matière de création d’emplois, d’ouverture des conseils d’administration aux représentants des salariés et des collectivités, de dialogue social avec les syndicats, de formation professionnelle, etc.) pour que le pacte prenne vie, soit « gagnant-gagnant » ?
Saura-t-il en un mot faire prévaloir l’intérêt supérieur de la Nation ?
C’est tout l’enjeu des discussions des prochaines semaines où le gouvernement confrontera ses propositions avec le patronat et les organisations syndicales.
A propos de ces derniers, il convient de se pencher sur la situation particulière de notre pays :
En France ce compromis « social-démocrate » ne pourra hélas pas s’appuyer principalement sur les syndicats pour représenter réellement les salariés et le monde du travail en général. Très minoritaires, peu représentatifs, ultra divisés, très contestés, et au final peu efficaces, les syndicats français n’ont pas la force nécessaire. Depuis longtemps, cette faiblesse syndicale est suppléée par l’action politique au sein de l’Etat. Ainsi la loi remplace le contrat, le code remplace l’accord entre partenaires sociaux. Face au patronat, le rapport de force ne peut s’équilibrer qu’avec le secours de l’Etat républicain[4].
Il n’en reste pas moins qu’ils sont malgré tout des acteurs indispensables au dialogue social et à la qualité des rapports sociaux. Pour eux aussi, une occasion historique de peser et de gagner une légitimité défaillante s’ouvre qu’il serait dommage de laisser passer.
Défendre les intérêts des salariés ne signifie pas automatiquement l’opposition systématique. D’ailleurs l’extrême faiblesse syndicale actuelle, la division excessive, la surenchère oppositionnelle qui gagne les syndicats les plus modérés,(voir la position de FO, véritable kaléidoscope idéologique, qui rejoint les revendications les plus corporatistes) coïncident avec la dégradation depuis des décennies du statut salarié (développement des CDD, de la précarité, du chômage, etc.). De là à y voir une corrélation, ce serait trop cruel et au demeurant injuste. Reste que le tableau et les résultats ne sont guère brillants et que le syndicalisme aurait peut-être intérêt à penser si le temps d’une révolution culturelle ne serait pas venu.
Si on peut probablement compter au départ sur la CFDT, à condition que le patronat ne joue pas la provocation, il sera déterminant de voir ce que fera la CGT. La tradition revendicative de la première centrale syndicale n’a pas toujours exclu une certaine culture du compromis.
Sans obligatoirement afficher un soutien sans faille à cette politique, la CGT peut avoir l’intelligence de saisir l’occasion de grandes avancées sociales. A condition aussi que les proximités politiques de nombre de ses militants ne compromettent pas la lucidité indispensable à ce genre de moment historique.
Accepter de concéder, même au risque de l’impopularité passagère, des positions pour en obtenir d’autres, n’est pas condamnable en soi et j’espère que les dirigeants syndicaux sauront saisir la chance qui leur est donnée.
Mais, comme on dit, « c’est pas gagné » et le risque est grand que les pesanteurs historiques, la paresse intellectuelle, le conformisme des élites, la facilité ou la peur ne conduisent chaque acteur à refuser de prendre le risque de l’impopularité et de l’échec.
Auquel cas, le pacte de responsabilité n’aura été qu’une péripétie, au pire vite tombée dans l’oubli, au mieux une habileté du président à prendre ses adversaires à contrepied et un argument –bien faible – des campagnes futures, sur le thème « je vous ai tendu la perche, vous ne l’avez pas saisi, donc vous partagez avec moi la responsabilité de l’échec »
[1] Cf notamment « Le rêve français » 2011, « Un destin pour la France » 2012
[2] Je parle du discours intégral, toujours accessible sur ce blog, et non les dix citations paresseusement retenues par la presse.
[3] Eh oui, chers camarades, sauf à vivre dans un monde imaginaire, notre principal partenaire, économique, politique, en Europe, celui sans qui rien ne se passera, celui qu’il faut justement influencer dans le sens d’une politique en faveur de la croissance, c’est l’Allemagne d’Angela Merkel…et du SPD.
[4] Le compromis social a donc plus de chance de se réaliser si la gauche, représentant naturel des intérêts des salariés, détient les leviers de l’Etat…à condition qu’elle ose s’en servir !