LETTRE OUVERTE AUX AMIS COMMUNISTES (ET A QUELQUES AUTRES).
Chers camarades, j’ai commencé ma longue vie militante à vos côtés, comme « compagnon de route » comme on disait alors.
Mes origines slovaques m’ont sans doute empêché à l’époque de franchir le pas de l’adhésion…Mes séjours en Tchécoslovaquie communiste étaient très dissuasifs et vous défendiez alors farouchement le bilan « globalement positif » du « socialisme réel »…
Néanmoins, je me sens depuis toujours membre de la même « famille » et me suis toujours battu pour l’Union de la gauche.
L’influence d’un parti communiste puissant était complémentaire des efforts que faisaient (et font toujours) les divers courant de gauche successifs du PS pour tirer celui-ci vers un réformisme de transformation sociale.
Cela n’a pas toujours fonctionné, certes, et vous comme moi avons avalé des couleuvres, j’en conviens.
Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Nous avons aussi connu de belles victoires.
Les grandes réformes sociales, les plus grands acquis sociaux des travailleurs de notre pays ont presque toujours coïncidé avec les périodes où le parti communiste avait choisi une ligne unitaire de rassemblement de la gauche : Front Populaire, Résistance, Libération, Programme commun et victoire de 1981, etc.
Les communistes n’ont par ailleurs jamais rechigné à prendre des responsabilités de gestion dans les collectivités, en s’alliant aux autres forces de gauche et à faire ainsi progresser sensiblement les conditions de vie des salariés.
En choisissant le rassemblement, certes on doit faire des compromis, certes on ne réussit pas toujours, mais en choisissant l’isolement, on est sûr de ne rien obtenir.
En s’alliant aux socialistes, vous pesez et renforcez les courants de gauche de la mouvance socialiste et au-delà les innombrables militants sincères de ce parti.
N’oubliez pas que la majorité des électeurs socialistes ont voté non au référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005.
En choisissant l’isolement, savez vous que vous renforcez paradoxalement l’aile socio-libérale du PS ?
Aujourd’hui je m’inquiète de la voie que semble suivre, où plutôt de la pente sur laquelle semble glisser la mouvance communiste.
Je sais, et je comprends, parce que j’y ai nombre de mes amis, que la campagne tonitruante de Mélenchon en a ravi plus d’un. Que certains y ont retrouvé l’enthousiasme de leur jeunesse. Qu’ils ont entendu et applaudi un discours qui les a fait vibrer. Que nombre de militants ou d’anciens militants se sont à nouveau mobilisés.
Mais pour quel résultat au final ?
Le parti communiste n’a pas de ministre, a perdu la moitié de ses parlementaires, les municipalités vont bientôt se compter sur les doigts de deux mains, puis d’une, puis…, la CGT s’éloigne, et on pourrait allonger cette triste liste.
Mais pourquoi donc les dirigeants communistes ont-ils choisi de se rallier aux injonctions d’un Mélenchon qui les exhortait à ne pas se compromettre au gouvernement de la France ! (Est-ce le même Mélenchon qui dans ma jeunesse liquidait les courants de gauche du PS de son département en tant que porte-flingue du 1er secrétaire F Mitterrand » ? Ou celui qui déclarait pourquoi il était important de voter le traité de Maastricht en 1992 ?)
En refusant d’emblée de participer au gouvernement, le PCF se marginalise, s’isole.
On me dit : « F Hollande ne voulait pas négocier, c’était son programme ou rien ». Mais c’était la même chose en 1981 ! Et le PCF de G Marchais, peu suspect de sympathie exagérée pour le PS a pourtant choisi la participation!
Quel profit les travailleurs vont-ils tirer de cette démarche suicidaire ?
Le plaisir éphémère de se convaincre qu’on a raison tout seul dans son coin, sans influence ?
Entretenir – pour combien de temps- une frange réduite de militants chevronnés dans leur certitude ?
Le monde bouge, le bloc communiste d’Europe de l’Est n’existe plus, le corps social s’est profondément transformé et la composition du salariat ne justifie plus aujourd’hui la division de la gauche politique en partis distincts.
Parallèlement, la conception traditionnelle du parti politique explose devant l’élévation du niveau de formation des citoyens et les formidables possibilités d’expression offertes à tous par les nouvelles technologies de communication.
Parti de militants d’avant-garde guidant des travailleurs disciplinés ou Parti de notables dominant des électeurs passifs, ces modèles sont en phase terminale.
Le parti politique de demain, c’est un mouvement social où la frontière entre adhérents et sympathisants s’estompe, où tous les citoyens sympathisants participent, à leur rythme, selon leurs possibilités du moment, selon leurs potentialités, à l’élaboration des programmes, à la désignation – à tous les niveaux, même local- des candidats aux fonctions électives, où le cumul des mandats est proscrit, où le renouvellement des générations est encouragé, où la diversité sociale se déploie.
La gauche, la République, la Nation ont besoin d’un profond renouvellement.
N’essayons pas de nous cramponner à des modèles d’hier, en prônant ici l’immobilisme au PS parce qu’on a tout gagné, ou là le retour nostalgique au grand parti communiste d’hier. L’histoire ne se répète pas.
Les enjeux d’aujourd’hui sont immenses : réorienter l’Europe vers la croissance et le plein emploi, reconstruire une politique industrielle, refonder la République, réussir la transition énergétique et la révolution écologique, etc.
Une réflexion de fond sur les outils d’avenir pour y parvenir me paraît vitale. Et disperser les forces progressistes en multiples chapelles impuissantes au lieu de se rassembler dans un mouvement politique en situation de peser est une faute que l’histoire sans doute jugera sévèrement.