LE BOURGET : UN DISCOURS REPUBLICAIN ET SOCIALISTE !
Ne boudons
pas notre plaisir. Après l’encourageante tribune publiée le 3 janvier en Une de Libé, on attendait avec impatience le vrai lancement de la campagne et, je le dis avec gravité et satisfaction : le
compte y est.
Le discours prononcé le 22 janvier au Bourget par François Hollande constitue sans doute le tournant de la campagne. En galvanisant la foule des
adhérents et sympathisants socialistes, avec un discours marqué à gauche, il a affirmé son autorité sur son camp, prouvé ses qualités de tribun, démontré sa dimension et sa crédibilité
(1).
Il est même possible, je risque l’hypothèse, que ce 22 janvier ne marque pas seulement le moment où la campagne bascula, mais aussi un évènement plus
important encore par sa portée, je veux parler de la possible fermeture de la fameuse « parenthèse » libérale ouverte en 1983, et poursuivie avec constance par le parti socialiste avec l’acte
unique, le traité de Maastricht, les dérives libérales-libertaires de la législature 1997-2002 et la grave erreur de l’acquiescement au traité constitutionnel européen de 2005 et son avatar le
traité de Lisbonne.
Certes, me direz-vous, François Hollande a été un promoteur actif de cette période. Et son entourage, pour la plupart de ses membres, ne se sont pas
métamorphosés en ardents révolutionnaires.
Mais force est de constater, et la percée d’Arnaud Montebourg lors des primaires de l’automne, n’y est pas pour rien (2) , que, loin de n’être qu’un « filet
d’eau tiède », comme le proclame avec sa modération habituelle le camarade Mélenchon, ce discours contient de très nombreux et solides motifs d’encouragement.
D’abord un positionnement très clair sur le champ socio-économique
:
L’adversaire principal est désigné. Non pas seulement le président sortant, dont l’exploitation de l’impopularité dans l’opinion aurait pu suffire à
certains comme stratégie électorale. (« N’en disons que le moins possible et tablons sur un référendum anti-Sarkozy ! »). Cette stratégie, probablement préférée par les « Dskistes », aurait
permis n’importe quelle dérive socio libérale ultérieure.
Non, François Hollande le crie haut et fort : « …mon véritable adversaire… n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa
candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la
société et même de nos vies… Ainsi, la finance s’est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle…
Si la finance est l’adversaire, alors il faut l’affronter avec nos moyens et d’abord chez nous, sans faiblesse mais sans irréalisme, en pensant que ce
sera un long combat, une dure épreuve mais que nous devrons montrer nos armes. Maîtriser la finance commencera ici par le vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités
de crédit de leurs opérations spéculatives. Aucune banque française ne pourra avoir de présence dans les paradis fiscaux.
Les produits financiers toxiques, c’est-à-dire sans lien avec les nécessités de l’économie réelle seront purement et simplement interdits. Les stocks
options seront supprimées. Et les bonus encadrés Enfin, je proposerai une taxe sur toutes les transactions financières,… avec ceux en Europe qui voudront la mettre en œuvre avec nous. Je
proposerai aussi, si l’on veut éviter d’être jugés par des agences de notation dont nous contestons la légitimité, de mettre en place au niveau européen une agence publique de notation.
»
La dimension européenne n’est pas occultée et les fortes paroles de François hollande, qui résonnent un peu comme une autocritique implicite mais bienvenue
donne du baume au cœur à ceux qui furent si longtemps caricaturés quand ils disaient la même chose :
Tout y est ou presque:
• la réorientation de l’Europe au service de la croissance et de l’emploi, et le rejet d’une soumission à une politique généralisée
d’austérité
« La France doit retrouver l’ambition de changer l’orientation de l’Europe… Nous avons besoin d’Europe, elle doit nous aider à sortir de la crise mais
pas imposer une austérité sans fin qui peut nous entraîner dans la spirale de la dépression .Les disciplines sont nécessaires, des engagements devront être pris pour le désendettement et être
respectés. Mais c’est la croissance qui nous permettra d’y parvenir le plus sûrement».
• la renégociation du traité européen en cours d’élaboration (et donc in fine des traités antérieurs en vigueur), et la mise en place
sinon d’un « gouvernement économique européen »
« Je proposerai à nos partenaires un pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance. Je renégocierai le traité européen issu de l’accord du 9
décembre pour lui apporter la dimension qui lui manque, c’est-à-dire la coordination des politiques économiques, des projets industriels, la relance de grands travaux dans le domaine de l’énergie
et puis les instruments pour dominer la spéculation, un fonds européen qui puisse avoir les moyens d’agir sur les marchés avec l’intervention de la Banque centrale européenne qui devrait être,
finalement, au service de la lutte contre la spéculation. J’agirai en faveur de la création d’euro-obligations afin de mutualiser une partie des dettes souveraines, de financer les grands
projets. Je défendrai, parce que c’est le sens du projet européen, une démocratie qui associera les parlements nationaux et européens aux décisions qui devraient concerner les
Etats.
• Une politique volontariste en matière monétaire et commerciale
"Je proposerai une nouvelle politique commerciale en Europe qui fera obstacle à la concurrence déloyale, qui fixera des règles strictes en matière
sociale, en matière environnementale, de réciprocité. Une contribution écologique sera installée aux frontières de l’Europe pour venir compléter ce dispositif. Je continuerai à agir pour une
parité juste de l’euro vis-à-vis du dollar américain. Je n’accepterai pas que la monnaie chinoise soit encore inconvertible alors que cette première puissance commerciale finit par être
excédentaire sans que sa monnaie, jamais, ne soit réévaluée. »
Loin des illusions démagogiques de la décroissance
• Le retour de la politique industrielle abandonnée depuis trente ans
« Ce qui est en cause, c’est la souveraineté de la République face aux marchés et à la mondialisation. Voilà pourquoi je veux redresser la France,
la redresser financièrement, la redresser économiquement, la redresser industriellement. Notre pays a abandonné depuis trop longtemps son industrie, aveuglé par la chimère d’une économie sans
usine, sans machine, comme si l’immatériel pouvait remplacer le travail de l’ouvrier, du contremaître, de l’ingénieur et de son savoir-faire. La ré industrialisation de la France sera ma
priorité…"
• Une politique énergétique réaliste.
« Le retour de la croissance passe aussi par la transition énergétique. Je me suis engagé à ce que la part du nucléaire dans la production d’électricité
soit réduite de 75 % à 50 % d’ici 2025. Nous avons besoin d’une industrie nucléaire forte, inventant les technologies, les progrès de demain, mais nous avons besoin aussi d’énergies
renouvelables, nous avons besoin aussi d’un plan d’économies d’énergie parce que ce sont ces trois actions – le nucléaire, les énergies renouvelables et les économies d’énergie – qui nous
permettront d’avoir une perspective industrielle. ..
• Une confiance républicaine dans la science et le progrès
« Enfin, il n’y aura pas de retour à la croissance, pas d’industrie forte sans un effort de recherche et d’innovation. C’est tout notre avenir de nation
industrielle qui se joue là. J’ai confiance dans la science, dans le progrès, dans la recherche, dans la capacité des inventeurs à nous donner les produits de demain sans avoir pour autant la
crainte pour notre environnement. Parce que la recherche est aussi au service de l’écologie et de l’environnement.
Le grand retour des valeurs de la République
• L’égalité : promesse de la France républicaine
« Ce redressement …ne sera possible que dans la justice. Chaque nation a une âme. L’âme de la France, c’est l’égalité. C’est pour l’égalité que la
France a fait sa révolution et a aboli les privilèges dans la nuit du 4 août 1789. C’est pour l’égalité que le peuple s’est soulevé en juin 1848. C’est pour l’égalité que la IIIe République a
instauré l’école obligatoire et l’impôt citoyen sur le revenu. C’est pour l’égalité que le Front populaire a œuvré en 1936. C’est pour l’égalité que le gouvernement du général de Gaulle a
institué la sécurité sociale en 1945. C’est pour l’égalité que François Mitterrand a été élu en 1981. C’est pour l’égalité que nous avons fait, avec Lionel Jospin, la couverture maladie
universelle et l’allocation personnelle à l’autonomie. C’est pour l’égalité que nous aurons aussi à combattre et à proposer aux Français le changement.
C’est pour l’égalité que nous devons agir parce que, depuis 10 ans, l’égalité recule partout. Partout, des privilèges apparaissent à mesure qu’une
nouvelle aristocratie – j’emploie le mot à dessein – arrogante et cupide s’installe et prospère…
Je serai le Président de la fin des privilèges parce que je ne peux pas admettre que, pendant ce temps-là, pendant que certains s’enrichissent sans
limite, la précarité s’étende, la pauvreté s’aggrave et 8 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont beaucoup trop d’enfants.
• Le droit à la sécurité
« L’égalité, l’égalité c’est aussi la sécurité pour tous. Vivre dans la peur est insupportable ! L’insécurité est une injustice sociale intolérable.
Elle touche les plus modestes, les plus âgés, les plus jeunes, les plus fragiles. La sécurité est un droit et je le ferai respecter en créant des zones de sécurité prioritaires … Et je lutterai
contre tous les trafics, toutes les mafias. Pas plus que je n’accepte la délinquance financière, la fraude fiscale, pas plus je ne tolère qu’un petit caïd avec sa bande mette une cité en coupe
réglée et fasse vivre à ses habitants un enfer. Tous ceux-là, les délinquants financiers, les fraudeurs, les petits caïds, je les avertis : ceux qui ont pu croire que la loi ne les concernait
pas, le prochain président les prévient, la République, oui, la République vous rattrapera !
• Le patriotisme républicain
« Je vous appelle à retrouver le récit républicain, celui qui nous a fait avancer pendant des décennies, le récit de la Révolution française, de ces
hommes, de ces femmes aussi, qui ont voulu avancer dans une histoire inconnue qui s’ouvrait sous leur yeux, qui était l’histoire de l’égalité humaine…
C’est cela, le récit de la République. Il n’appartient pas qu’à la Gauche. Tous ceux qui se sont succédé pendant des décennies à la tête du pays ont
porté le récit républicain…! Le rêve français, c’est la confiance dans la démocratie, la démocratie qui sera plus forte que les marchés, plus forte que l’argent, plus forte que les croyances,
plus forte que les religions ! Le rêve français, c’est l’achèvement de la promesse républicaine autour de l’école, de la laïcité, de la dignité humaine, de l’intérêt
général.
Le rêve français, c’est le creuset qui permet à toutes les couleurs de peau d’être à égalité de droits et de devoirs…Le rêve français, c’est une force,
c’est le projet que je vous propose, parce qu’il nous ressemble, parce qu’il nous rassemble !
Je veux, je veux que nous allions ensemble vers la France de demain ! Une France du travail, du mérite, de l’effort, de l’initiative, de l’entreprise,
où le droit de chacun s’appuiera sur l’égalité de tous.
Une France de la justice, où l’argent sera remis à sa place, qui est celle d’un serviteur et non d’un maître.
Une France de la solidarité, où aucun des enfants de la Nation ne sera laissé de côté. Une France du civisme, où chacun demandera non pas ce que la
République peut faire pour lui, mais ce que lui, peut faire pour la République !
Une France de la diversité où chacun apportera sa différence, mais dans l’unité de la République, où les Outre-mers nous ouvrent à tous les
horizons du monde et où les enfants d’immigrés doivent être fiers, fiers d’entre Français, Français, parce que c’est le plus beau nom qu’on puisse donner à un citoyen du
monde,
La France, la France n’est pas un problème. La France est la solution !
Avouons-le : ce discours a fait passer plus d’un frisson aux républicains ardents désemparés devant la dérive libérale-libertaire si puissante dans les
dernières décennies, et qui se sont sentis bien seuls parfois.
Ne boudons donc pas notre plaisir devant ce retour aux fondamentaux républicains qui loin de constituer un recul archaïque se révèlent des armes puissantes
et modernes, les plus adaptées pour faire face à la crise.
Cette crise profonde du capitalisme financier a fait voler en éclat les illusions libérales, les malfaçons d’une construction européenne détournée des vœux
de nombre de ses promoteurs, les mensonges de la mondialisation heureuse.
En retrouvant la vocation de la gauche, promouvoir le progrès social et l’Egalité, donner la priorité à l’emploi donc à la croissance, faire triompher la
démocratie sur les marchés, s’adresser d’abord aux classes populaires et moyennes, retrouver, comme il l’a dit si bien, le récit de la France républicaine, François Hollande ouvre des
perspectives insoupçonnées.
Gagner la présidentielle, certes, rien n’est joué et il faudra se battre jusqu’au dernier jour, mais cela va plus loin.
François Hollande se veut un président « normal ». On comprend ce que cet homme qui « aime les gens » veut dire et notre sympathie lui est
acquise.
Mais il ne pourra pas, s’il est élu par le peuple de France, être un président « ordinaire », un simple Zapatero ou Papandreou. Un social démocrate de plus
qui capitule au premier coup de fusil. La mission qui l’attend est historique car la situation est extraordinaire.
Il lui faudra de la constance, du courage, une trempe hors du commun, car il a déclaré la guerre aux marchés financiers et dès qu’il s’y attèlera, ceux-là
ne lui pardonneront pas.
J’ai confiance en l’homme qui je le crois a pris la mesure du moment historique.
Mais beaucoup de forces contraires se lèveront, y compris bien sûr dans son propre camp, son propre entourage.
Le programme proprement dit, on l’a remarqué, comporte des lacunes (notamment hélas concernant l’école de la République où tout ne se résoudra pas par la création de 60 000 postes), et pas mal d’ambiguïtés, susceptibles d’interprétations contradictoires.
La politique est un rapport de force.
Le mouvement social aura son mot à dire et c’est heureux et nécessaire, car jamais la gauche n’a pu se passer pour transformer la société du soutien et de
l’aiguillon du « mouvement d’en bas ». Et il n’y a nulle contradiction pour ceux qui vont militer ardemment pour la victoire électorale d’annoncer dès maintenant qu’ils exerceront aussi leur
droit de vigilance pour que les promesses soient tenues et que le cap fixé au Bourget soit maintenu contre vents et marées.
Dans le champ politique, ceux qui veulent peser doivent réfléchir. Il faudra dans les phases difficiles –et il y en aura - être au bon endroit pour peser au
bon moment dans le sens que nous voulons.
Chacun en tirera les conclusions qui s’imposent.
(1) Crédibilité renforcée lors de cette « semaine sans faute » par le sérieux du programme chiffré, présenté le jeudi matin, et l’aisance tranquille avec laquelle il a dominé Alain Juppé (excusez du peu ! Ce n’était pas Copé ou Bertrand !) le jeudi soir lors du débat sur France 2
(2) Ceux qui après avoir voté Montebourg au premier tour n’ont pas compris sa prise de position pour F. Hollande comprennent peut-être mieux la
justesse de ce choix