CHERS AMIS SOCIALISTES
Chers
camarades,
Je vous connais bien. J’ai longtemps été des vôtres et si je me suis éloigné, je n’ai jamais perdu le contact. Vous m’avez souvent déçu, vous m’exaspérez parfois, pourtant je me considère toujours membre de la famille et j’ai conservé beaucoup d’amis au PS. Je reste convaincu que, malgré tout, la « mouvance » socialiste reste le lieu stratégique de l’avenir de la gauche. Bref, vous êtes incontournables. Alors, au nom de ce qui me lie à vous, me permettrez-vous d'attirer votre attention sur trois dangers qui selon moi menacent les socialistes ?
L’automne 2010 s’annonce animé. Gros agenda social, « réforme » des retraites oblige, crise de légitimité politique avec l’effondrement catastrophique de la popularité du locataire de l’Elysée, poursuite des ravages sociaux de la crise et de la politique d’austérité du gouvernement…etc.
Cette situation potentiellement explosive ouvre certes des perspectives pour tous ceux qui militent en faveur d’une alternative politique. La crédibilité du pouvoir en place est sérieusement affectée, son efficacité économique, financière ou en matière de sécurité publique suscite le doute jusqu’au sein de la majorité. Les courtisans, aussi ridicules que dangereux, ont beau s’acharner dans le sarkozisme échevelé, une partie non négligeable des élus UMP comprennent bien que si le président continue sa glissade vers l’abîme, il risque de tous les entraîner à sa suite…
Les derniers sondages, à l’unisson, révèlent que les français ne souhaitent pas que ce président se représente, annoncent qu’ils voteront contre lui, et prédisent qu’il sera battu, quelque soit le candidat socialiste qu’il affrontera.
Au premier abord, tous ces éléments ne peuvent qu’encourager tous ceux qui veulent un coup d’arrêt à la politique de démolition de la République que mène ce gouvernement. Pourtant, à la réflexion, la situation présente pour la gauche autant de dangers que d’atouts.
Premier danger : vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué
Le parti socialiste est déjà souvent tombé dans le piège, sous estimant gravement ses adversaires et surestimant sa popularité. L’expérience enseigne qu’on ne doit pas compter sur le fameux effet « essuie-glace » (l’impopularité des adversaires offrant la victoire sans qu’il soit besoin de réfléchir trop au programme à appliquer).
Ne sous-estimons pas Sarkozy, bête politique ! Et de toute façon, quelque soit le candidat que la droite présentera, le combat sera rude et incertain et il faudra une mobilisation, un travail et une dynamique formidables pour convaincre les électeurs de changer de voie.
Second danger : l’unité pour l’unité…sans contenu
Pour imiter la formule célèbre, on peut certes se contenter de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant « Unité ! Unité ! » mais cela ne signifie rien et n’aboutit à rien, si on ne met pas un CONTENU derrière le candidat.
Certes, les rivalités personnelles excessives de ces dernières années ont fait le jeu d’une droite ravie de l’aubaine. Mais elles furent surtout néfastes car non fondées sur des options politiques identifiables. L’opinion était d’autant plus sévère avec la division des leaders socialistes qu’il était difficile de discerner leurs différences.
Or on voit bien que la tentation est grande chez les socialistes, frustrés depuis plus de vingt ans de victoire présidentielle, de sacrifier le contenu à l’unité à tout prix : « peu importe le ou la candidat(e), l’important c’est d’être uni pour gagner… (sous entendu : peu importe le projet).
Or les français sont en droit de savoir de quelles analyses, de quelles valeurs, de quel projet, le ou la candidat(e) qui représentera la gauche au second tour de l’élection présidentielle est porteur.
La procédure des « primaires » pour élargir à des millions de sympathisants de toute la gauche, le choix du candidat à l’élection présidentielle peut être le moyen d’une profonde refondation de la gauche et créer une dynamique irrésistible, à condition qu’elle permette un débat public et transparent autour des options des divers prétendants. A chaque candidat son projet, exposé avec clarté aux électeurs de gauche, dans un débat non biaisé.
Le pire des scénarios serait en effet que ces primaires se réduisent à la simple ratification d’un candidat présélectionné à l’avance par les différentes factions dirigeantes du parti, au nom de la nécessité de l’unité - et probablement au vu des sondages - dans le cadre d’un compromis ambigu fondé sur l’occultation des différences et le partage des prébendes.
Ne venez pas alors vous plaindre que les autres sensibilités de la gauche se soient senties exclues d’avance de ce processus et s’abstiennent d’y participer, retirant ainsi beaucoup de crédibilité aux primaires.
Troisième danger : décevoir une fois de plus le peuple de France.
Faut-il rappeler que le combat politique de la gauche n’a pas d’autre intérêt que de mettre en œuvre des politiques publiques de progrès et de justice sociale, au service des classes populaires et des couches moyennes ?
Faut-il rappeler encore que son éloignement du pouvoir national depuis 2002 s’explique largement par une large désaffection de cet électorat là ?
Faut-il rappeler enfin que le ou la candidat(e) devra, pour triompher, surmonter un immense obstacle : vaincre le scepticisme des millions d’électeurs victimes de près de trois décennies de politiques néolibérales, et qui ne sont guère convaincus de la capacité (ou de la volonté) de la gauche de faire mieux et autrement ?
Il ne suffit pas de gagner l’élection présidentielle, il ne suffit pas de battre Nicolas Sarkozy, encore faut-il proposer un projet alternatif, encore faut-il avoir la volonté de l’appliquer et encore faut-il s’en donner les moyens.
Les socialistes, reconnaissons-le, ont fait des efforts depuis quelque temps, en adoptant des textes dénonçant « l’impasse des politiques néolibérales » en Europe , en se démarquant plus nettement de la « troisième voie » à la Tony Blair, en condamnant même le dogmatisme ultralibéral de la commission européenne, en étant plus présents dans les manifs et les luttes sociales, et le discours de Martine Aubry se veut clairement porteur des valeurs sociales républicaines.
Pour autant, cet infléchissement qu’aime à mettre en valeur le courant de Benoit Hamon serait plus convaincant :
- si le parti socialiste consentait à ne serait-ce qu’une once d’autocritique sur la « parenthèse » libérale
- s’il consentait réellement à faire un peu de place à ses alliés, courtisés pendant les campagnes électorales et oubliés sans trop de scrupule aussitôt après,
- si un certain nombre de dirigeants socialistes – avec l’appui de la presse "de gauche" (de Libé au Monde en passant par le N.Obs), ne cachaient pas leur souhait de porter à la candidature tel ex-ministre directeur d’une institution financière internationale qui vient d’administrer à la Grèce une sévère potion libérale,
- si le parti socialiste nous expliquait comment il fera face aux obstacles que ne manquera pas de lui opposer la commission de Bruxelles ou la BCE quand il voudra appliquer les propositions économiques et financières qu’il préconise dans ses textes…
Le parti socialiste a une énorme responsabilité devant le peuple français. S’il parvient au pouvoir et que, faute de volonté, faute de courage, il renonce à mener une véritable politique alternative et se contente une fois de plus d’accompagner les effets de ce capitalisme financiarisé qu’il dénonce aujourd’hui, non seulement les dégâts sociaux se poursuivront, mais il éloignera pour longtemps tout espoir de changement politique progressiste et ouvrira la voie, via le désespoir social, aux pires populismes.
Chers amis, chers camarades, sortez de votre tour d’ivoire, écoutez les français, pas le microcosme médiatico politique, écoutez les classes populaires et moyennes, pas seulement vos « clients », écoutez votre électorat, pas seulement les sondages, écoutez vos alliés, pas seulement vos affiliés…
Vous avez rendez vous avec l’Histoire : ça mérite de se faire un peu violence…