Lettre ouverte et amicale à Anne Hidalgo

Publié le par Xavier GARBAR

Lettre ouverte et amicale à Anne Hidalgo

Chère camarade,[1]

Madame Hidalgo, vous représentez pour beaucoup d’entre nous une espérance. Celle de permettre à  la gauche de briser le piège d’une démocratie réduite au seul choix : libéraux / populistes et de pouvoir à nouveau proposer à notre pays un projet alternatif.

Comme, semble-t-il, vous n’avez pas fermé la porte à cette éventualité, permettez au vieux militant que je suis, de vous faire part de ce que je n’oserai pas appeler des « conseils », mais plutôt des vœux.

On l’a dit, on le répète et on a raison, le projet, le programme, passent avant le ou la candidate. C’est vrai et beaucoup y travaillent, vous et vos équipes parmi d’autres. Mais ce projet, pour être compris et partagé par le plus grand nombre, et pas seulement du fait de nos institutions, doit s’incarner dans des figures qui lui donnent sens et profondeur. Vous pouvez être l’une d’elles.

Je souhaiterais à ce titre attirer votre attention sur trois points :

1-La cible d’abord : qui devons-nous, qui  devrez-vous, convaincre ?

2-L’équilibre du projet entre ses différentes thématiques,  exercice difficile mais décisif

3- L’incarnation enfin : en quoi vous, Anne Hidalgo, pouvez incarner le projet, mieux que d’autres.

 

  1. La cible.

Je reste convaincu que la gauche a pour vocation première, historique,  de représenter d’abord les couches de la population qui ne disposent pas, a priori, des mêmes moyens, matériels, financiers, culturels,  que les classes privilégiées pour défendre leurs intérêts. Si elle ne le fait pas, personne ne le fera, sauf les démagogues.

Je ne vous apprends rien, cela fait déjà quelques décennies que la gauche en général et la gauche social-démocrate en particulier, ont perdu le rapport privilégié qu’elles avaient avec les classes populaires et les couches moyennes modestes, leur base sociale traditionnelle. Ces dernières se sont largement détournées de la gauche et même de la citoyenneté. Abstentionnisme massif, vote populiste, mouvements sociaux sans boussole…et gauche en perdition.

L’erreur pour un(e) candidat(e) de la gauche socialiste serait, à mon sens, de ne s’adresser qu’aux électeurs qui votent encore, de ne rechercher qu’à reprendre des voix chez Macron, chez les Verts, ou les Insoumis. Bien sûr il faut convaincre nombre de ces électeurs, dispersés à gauche et à droite, de choisir une voie plus crédible, mais ce n’est pas ça qui pourra créer le rapport de force décisif pour accéder au leadership du rassemblement de la gauche et des écologistes, nécessaire pour constituer une alliance crédible.

Pour y parvenir, j’ai la conviction qu’il faut bouleverser la donne, changer profondément le schéma dans lequel tous, média, instituts de sondage et partis politiques, se sont docilement inscrits.

Et s’adresser d’abord, sans crainte,  sans tabou, haut et fort, aux électeurs populaires qui ont quitté la gauche ou ne l’ont jamais rejoint, comme le faisaient les générations précédentes.  C’est une nécessité de mathématique électorale. Mais c’est aussi et peut-être d’abord un enjeu capital pour notre République de réinsérer dans le circuit de la citoyenneté cet électorat disparu. Une démocratie vivante ne peut se satisfaire d’un corps électoral réduit à sa moitié et privé de ses citoyens les plus modestes, ceux qui s’abstiennent et même ceux qui sont ou ont été tentés par le vote Le Pen.

J’entends déjà les craintes de certains : attention de ne pas flirter avec les thématiques d’extrême droite pour récupérer cet électorat égaré. Evidemment non ! Il s’agit de renouer tout simplement et avec force avec les valeurs de la République, avec en premier lieu sa promesse d’égalité, une république généreuse mais qui protège ses citoyens et d’abord les plus faibles, avec la laïcité,  avec l’universalisme républicain… sans se laisser intimider par les modes sectaires issues de l’ultra gauche américaine, ultra marginales dans notre peuple mais influentes dans les médias et l’intelligentsia « gentrifiée ».

L’objectif à atteindre, ce n’est pas de faire un ou deux points de plus que Jadot ou Mélenchon dans les sondages, c’est de créer un nouveau paysage politique, réussir à parler à nouveau avec notre peuple, à constituer un nouveau « bloc social » porteur d’un projet de progrès social et humain.

Cela nous amène  au contenu du projet :

2) Le projet : Social, écologique, républicain.

Une politique sociale audacieuse : nécessaire et crédible

Une des premières raison expliquant que  les couches populaires, au sens large, se soient éloignées de la gauche c’est sans doute qu’ elles n’ont plus vraiment distingué dans l’action politique de celle-ci une franche différence  avec la droite. Et on ne peut nier, que face aux bouleversements issus de la mondialisation et aux contraintes, budgétaires, monétaires, commerciales, imposées par une Europe dominée par les conservateurs,  la gauche de gouvernement n’a pas toujours su s’opposer à des politiques d’inspiration libérale, et en fait de  régression sociale.

Il paraît donc nécessaire de prendre nos distances avec les mesures à tonalité libérale qui ont pu être concédées dans l’exercice du pouvoir sans pour autant renier tout ce que la gauche social-démocrate, depuis son origine et même durant cette dernière période, a apporté ou contribué à apporter pour améliorer le niveau et les conditions de vie des travailleurs

Mais sans tomber dans l’outrance de la gauche radicale, une rupture nette avec ce passé récent s’impose. Et doit s’assumer : Il ne sert à rien de faire du « Social » le premier terme d’une devise si c’est pour refaire la même politique.

Or nous sommes entrés dans une période favorable.

Le retour du social, la crédibilité d’une politique de gauche porteuse de profondes transformations se trouvent opportunément crédibilisés par la conjonction de trois occurrences qu’il serait dommage de ne pas exploiter:

- la fin du cycle néolibéral qui dominait chez les économistes et imprégnait l’idéologie des élites au pouvoir,

- Cette  pandémie mondiale qui a rendu évidente la nécessité d’une action volontariste pour lutter contre l’augmentation de la pauvreté et des inégalités qu’elle a causées, mais qui a entraîné  aussi la suspension salutaire des dogmes néolibéraux, notamment en Europe, qui entravaient les politiques des Etats et leur interdisaient de fait de mener des politiques de progrès social.

- Et enfin la prise de conscience écologique et des lourdes décisions structurelles qu’elle exige, incompatibles avec le seul libre jeu du marché mondialisé mais réhabilitant au contraire l’intervention publique sous toutes ses formes.

Allier écologie et progrès social, condition de la réussite de la transition écologique.

Le succès de la transition écologique va aussi demander une modification profonde et durable des comportements sociaux du plus grand nombre, dans les domaines du transport automobile, des économies d’énergie, du chauffage, de l’alimentation, ce qui implique une prise de conscience massive des populations, qui ne se réduise pas à celle des  couches urbaines intellectuelles, comme c’est encore largement le cas.

Pour les convaincre du bien-fondé des mesures qu’elle exige, la transition écologique doit donc être étroitement associée dans l’esprit du plus grand nombre à un progrès social, à une amélioration des conditions de vie.

Il convient enfin qu’elle soit revisitée de manière à s’inscrire dans notre Histoire, non comme l’importation et l’imposition autoritaire d’une écologie punitive, mais comme un enrichissement de notre modèle social républicain[2].

 

Réaliser la « promesse républicaine »

Ce « modèle social français », et cette Histoire républicaine et sociale, j’ai la conviction qu’une large majorité de notre peuple  y est profondément attachée.

 Bien sûr,  certains articles de nos textes fondamentaux sont restés lettre morte ou appliqués partiellement ou imparfaitement, c’est toute la question de la « promesse » républicaine. Ce n’est pas parce qu’elle tarde à se réaliser que son contenu est caduc. Au contraire, il faut s’appuyer sur elle pour faire avancer le progrès, qui est toujours remis en cause par ceux qu’il gêne. La République sociale reste l’objectif à réaliser et l’accomplissement de cette « promesse » d’égalité est plus que jamais d’actualité.

Les valeurs républicaines gardent ainsi aujourd’hui toute leur force, mais à condition cependant de les assumer toutes, sans en snober certaines, car toutes ensemble elles font système.

Reconnaissons que malheureusement, nous avons pu, par facilité, paresse intellectuelle et oubli de notre histoire,  progressivement négliger certaines de ces valeurs, plus exigeantes dans notre société moderne, la laïcité, le patriotisme, le civisme et le respect des lois, l’équilibre des droits et des devoirs, le droit à la sécurité,  les abandonnant ainsi …à la droite, voire à l’extrême droite…alors qu’elles étaient historiquement et fondamentalement des valeurs progressistes.

Ainsi de nombreux citoyens – et peut-être d’abord dans les classes populaires - se sont éloignés de la gauche et  se croient même « de droite » parce qu’ils aiment leur pays, parce qu’a priori ils préfèrent le policier au délinquant, parce qu’ils veulent que leurs familles soient protégées des dealers et des caïds, parce qu’ils aiment le travail, et même le travail  bien fait, etc. Or ces exigences, osons le clamer, sont légitimes et c’est historiquement la gauche qui les a portées.

Aujourd’hui, retrouver, assumer, revendiquer son attachement à toutes les dimensions de la  république, à toutes ses valeurs y compris les plus exigeantes, n’est plus ringard, mais résolument moderne et en parfaite adéquation avec les besoins du moment.

Si une figure de la gauche qui porte son drapeau est capable d’incarner ce retour à la République, j’ai la conviction qu’elle  sera entendue, et notamment par ces  couches sociales populaires et moyennes, aujourd’hui sans boussole.

 

3) L’incarnation

Au regard de ces vœux, recentrage de la gauche sur le peuple, synthèse audacieuse d’un social retrouvé avec une écologie populaire, le tout s’inscrivant dans le fil de la tradition jaurésienne d’une République sociale, comment ne pas constater que vous pouvez, vous, Anne Hidalgo, être une incarnation presque parfaite de cette espérance ?

Très critique de la politique trop imprégnée de libéralisme du dernier quinquennat, bien que restée loyale, vous avez de fait une forte légitimité  pour promouvoir une politique sociale audacieuse, qui n’a pas perdu le cap d’une transformation progressiste de la société. Pour redonner à la gauche réformiste sa véritable identité qui n’est pas d’adapter le pays à la mondialisation en déconstruisant notre modèle social.

Votre engagement écologique reconnu dans votre ville est aussi aujourd’hui un des éléments essentiels de la validité de votre candidature. « Le temps de l’écologie est arrivé » avez-vous dit, résumant parfaitement l’enjeu. Et mieux que quiconque, et sans doute bien mieux que  nos alliés Verts, dont les fondamentaux théoriques sont trop éloignés de la culture républicaine française, vous êtes bien placée pour concilier l’exigence écologique avec le combat social.

Vous pouvez ainsi incarner la nouvelle synthèse historique entre socialisme et écologie. Entre le combat historique pour l’égalité, le progrès social, la protection des plus faibles d’une part, et la nécessaire prise de conscience des gigantesques défis que l’humanité doit relever pour sauver la planète et ses habitants des désastres écologiques et d’abord climatiques, d’autre part.

Enfin, et au-delà des qualités et compétences personnelles qui vous sont reconnues internationalement, et sans lesquelles on ne se poserait pas la question de votre candidature, imaginez… imaginez quelle force symbolique aurait, pour porter ce projet, la candidature d’une femme, la première présidente de la République Française, une fille d’immigrés ayant réalisé une ascension sociale grâce à ses mérites et à l’école publique républicaine , une femme ayant exercé avant ses mandats une profession dans la société civile, et non une professionnelle de la politique, une aspirante à la fonction suprême qui ne soit ni énarque ni banquière…

Qui à ce jour, dans tout l’éventail politique serait  plus apte à présenter au choix de notre peuple et à la face du monde le visage d’une France retrouvant à la fois sa foi en l’avenir et sa fidélité à une histoire de progrès social et humain, que cette Marianne incarnée ?

 

 

 

 

[1] Je me permets d’écrire  « chère camarade » car j’apprécie le fait que vous  ne cachiez jamais vos convictions. Mais je garderai le vouvoiement par respect pour votre fonction et celle que, j’espère, vous occuperez un jour…

 

[2] Ce modèle social, résultat cumulé de conquêtes républicaines et sociales et  largement construit par la gauche, héritière principale des philosophes du Siècle des Lumières, des idéaux de la Révolution Française, des Révolutions de 1830 et 1848, de la Commune de Paris de 1871, des réformes républicaines et laïques de la Troisième république, des conquêtes sociales du Front Populaire, du programme si progressiste et moderne du Conseil National de la Résistance et de tous les autres acquis sociaux conquis jusqu’à aujourd’hui.

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