SIX MOIS DE PRESIDENCE MACRON: LE COMPTE N’Y EST PAS ! (II)
Six mois plus tard : le compte n’y est pas
Six mois plus tard, lesdits électeurs sont en droit de s’interroger.
La forme et le fond :
Examinons d’abord la forme : le style, les attitudes, le comportement de ce président et de ses nombreuses troupes parlementaires. La forme n’est jamais secondaire car elle reflète la culture sous-jacente de cette nouvelle majorité, présentant à mes yeux un curieux mélange de naïveté – pardonnable – et d’arrogance - insupportable mais surtout totalement injustifiée.
Je confesse à ce stade émettre une opinion toute personnelle et forcément en lien avec mon expérience, professionnelle et militante, avec ma génération peut-être aussi.
Ce Président cherche, nous dit-on, à « incarner » la fonction présidentielle, en lui redonnant du lustre et de la hauteur, pour rompre avec la « banalisation » de la fonction qu’aurait installée son prédécesseur.
Il est vrai que la France n’est pas en Scandinavie et que François Hollande, homme sympathique « qui aime les gens », a déçu sur ce point une majorité de citoyens qui, à tort ou à raison, persistent à penser que la France, même si elle s’est débarrassée d’un roi de droit divin, ou parce qu’elle l’a fait, doit posséder ses propres rituels et un cérémonial « à la hauteur ».
D’où l’arrivée théâtrale du nouveau Président sur la place du carrousel le soir du second tour et sa recherche, chaque fois que possible, d’une mise en scène de ses apparitions…Las, n’est pas De Gaulle ou Mitterrand qui veut. Médiocre orateur, vite soporifique et (car?) dépourvu du moindre humour, ses discours ressemblent plus à l’exercice laborieux d’un étudiant studieux désireux de monter au grand jury qu’il a bien travaillé, comme l’a illustré son intervention[1] lors des obsèques de jean d’Ormesson. Ou dérapent, comme durant les meetings de la campagne électorale dans des séquences quasi hystériques, qu’on hésite à trouver drôles ou inquiétantes.
A plusieurs reprises par ailleurs, le nouveau locataire de l’Elysée n’a pu cacher son penchant à l’autoritarisme.
Envers son parti politique dirigé d’en haut, dont les adhérents n’ont quasiment pas le droit de vote (est-on d’ailleurs adhérent d’un parti, d’un club sportif ou d’une association quand on ne cotise pas et qu’un simple clic vous comptabilise dans les effectifs ?)
Envers ses ministres qu’il tance régulièrement en prenant bien soin que cela se sache, envers ses proches collaborateurs, dont on dit qu’il les épuise au travail et que le burn out menace de chambouler les équipes rapidement.
Envers l’administration, court-circuitée par un Président qui donne ses instructions aux services sans passer par les directions des ministères,
Envers les syndicats, avec qui on discute sans le texte des projets de réforme, divulguées au dernier moment quand la discussion est déclarée close.
Envers les collectivités locales et leurs élus, en leur imposant d’en haut des obligations financières difficiles à concilier avec la nature décentralisée de notre république.
Envers sa majorité parlementaire enfin dont les membres furent choisis d’en haut par le président et son « staff », sur CV. Il faut lui reconnaître qu’il n’est guère aidé par ce groupe parlementaire surréaliste, inexpérimenté, hétérogène, … et plus « godillot » que jamais un groupe parlementaire ne l’a été ! Il ne suffit pas, en effet, d’être issu de la « société civile » - qui ne l’est pas ? – pour avoir les qualités requises d’un bon parlementaire.
Souvent issus de l’encadrement supérieur (de la haute fonction publique et surtout du privé) ou chefs d’entreprises eux-mêmes, souvent dépourvus de culture politique et de connaissances minimales du terrain, ces nouveaux élus, découvrent, avec stupeur semble-t-il, que les députés travaillent beaucoup, que ce travail est fastidieux, qu’il demande des sacrifices personnels et notamment familiaux. Ces champions du « nouveau monde », si sûrs d’incarner la compétence technique et l’intégrité morale, battent les record d’absentéisme, surprennent les élus locaux par leur caractère « hors sol » et leur méconnaissance des réalités locales, regrettent pour certains leurs confortables revenus antérieurs et, « last but not least », se révèlent la majorité parlementaire la plus docile, « le doigt sur la couture du pantalon », ce qui ne fait pas, on en conviendra, très « nouveau monde » …
Monsieur le Président n’aime guère la contestation.
Vous me direz que tout ça ne concerne que la forme, et non le fond. C’est vrai, et même si j’ai la conviction que les deux sont souvent indissociables, parlons du fond.
La majorité des électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour provenaient de la gauche modérée. Ulcérés par les divisions suicidaires de la gauche gouvernementale, ne se reconnaissant nullement dans le candidat issu de la primaire de celle-ci, ni dans les outrances mélenchonniennes, redoutant que le premier tour ne sélectionne pour le choix final les deux candidats de la droite et de l’extrême droite[2], ces électeurs pensaient que le choix de Macron était un moindre mal, qu’il mettrait en œuvre une politique de centre gauche, certes plus « libérale » que le gouvernement sortant mais à peine moins social.
Six mois plus tard, force est de constater que la nouvelle politique, loin de n’être qu’un léger glissement vers le centre, constitue une autre politique économique et sociale, adoptant clairement les grands principes du libéralisme, reprenant quasiment mot pour mot les arguments traditionnels (et donnant souvent satisfaction aux revendications) du Medef.
Diminution des impôts des plus aisés et surtout des plus riches, reprise en l’aggravant – et par ordonnance – de la version « hard » (la sienne) de la loi travail, c’est-à-dire en revenant sur les compromis et des contreparties obtenues par les syndicats réformistes et les parlementaires socialistes, réduction des moyens des services publics par le biais d’une austérité imposée d’en haut, stigmatisation des fonctionnaires, suppression des emplois aidés, etc. le scénario n’est guère nouveau.
La composition du gouvernement : ministres issus de la droite libérale conservatrice aux postes économiques et sociaux, les autres relégués sur les ministères régaliens, avait d’emblée mis la puce à l’oreille aux sceptiques.
La musique qui a suivi les a hélas confortés : « la réussite des gagnants profite au plus grand nombre, les profits des riches « ruissellent » sur les plus pauvres, les « premiers de cordée » sont ceux qu’il faut encourager d’abord, car ils tirent tout le monde vers le haut, etc. » C’est le discours libéral classique qui revient en force.
On va me rétorquer que François Hollande avait ouvert la voie avec le CICE et la baisse des impôts…Argument fallacieux, que professent à l’unisson les chantres peu nuancés de la gauche radicale d’une part, et les ralliés au macronisme qui espèrent ainsi démontrer leur propre cohérence d’autre part.
Les gouvernements du quinquennat précédents avaient baissé les charges des entreprises, pas des individus les plus riches, qui au contraire avaient été plus lourdement taxés. La fiscalité du capital avait été alignée sur celle des autres revenus, quand la « flat taxe » Macron les avantage à nouveau.
La politique économique de Hollande si incomprise à gauche, visait à redonner des marges et de la compétitivité aux entreprises pour qu’elles créent de l’emploi. Et si elle a tardé à obtenir des résultats, ils sont bel et bien là aujourd’hui.
Mais par ailleurs sa politique fiscale visait à réduire les inégalités. Et les études statistiques montrent aujourd’hui qu’elle a au moins en partie atteint son objectif. Malheureusement la nouvelle orientation politique risque d’inverser la tendance.
Les réformes sociales promises par le nouveau Président en contrepartie des réformes « libérales », peinent à voir le jour : les gains (maigres) de pouvoir d’achat promis aux salariés[3], par une compensation avantageuse de la hausse de la CSG et la suppression de la taxe d’habitation, sont étalés sur plusieurs exercices (quand la suppression de l’impôt sur la fortune et le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus de placement sont eux applicables immédiatement).
La réforme du Code du travail a satisfait les revendications patronales mais écarté celles des syndicats prêts à « jouer le jeu » de la négociation, et notamment celles qui auraient donné plus de poids aux représentants des salariés.
Du coup, on peut craindre à bon droit que les réformes annoncées, de la formation professionnelle, de l’assurance chômage ou des retraites, encore dans les limbes et au contenu toujours aussi flou que dans le programme présidentiel, ne présentent in fine le même déséquilibre[4].
Ajoutons à cela une parole incertaine sur le registre de la Laïcité, pierre angulaire de notre République, qui montre chez le président une conception inquiétante des rapports de l’Etat et des religions.
Pour toutes ces raisons, et elles commencent à s’accumuler, les électeurs de gauche, de centre gauche et même du centre[5], d’Emmanuel Macron ont donc le droit de se sentir un peu floués. Le « Et de gauche et de droite » est pour l’instant privé de la première composante.
Bien entendu, tout n’est pas à rejeter dans une stérile opposition systématique, et telle ne doit pas être la politique d’une gauche réformiste digne de ce nom. Sur certains points, en politique extérieure notamment, il y a peu à redire sur le fond[6] et la continuité dans ce domaine l’emporte. Peu à redire également sur la politique de Sécurité publique, si sensible dans cette époque lourde des menaces terroristes, sujet sur lequel nulle démagogie ne serait acceptable.
Une gauche responsable ne saurait non plus, en matière économique et financière, se contredire et revenir sur des mesures qu’elle a elle-même fait adopter et à celles qui les prolongent dès lors qu’elles ne les dénaturent pas.
La chance du nouveau président est qu’il va bénéficier durant les premières années de son quinquennat de la reprise de la croissance et de l’amélioration de l’emploi, qui doivent beaucoup à la politique de son prédécesseur mais pas encore à la sienne. Cette fois l’héritage est bénéfique et l’intérêt général veut que la gauche responsable appuie tout ce qui va dans le même sens.
Mais il ressort de ces constats qu’Emmanuel Macron n’est pas le Président de tous ces citoyennes et citoyens qui, forts de valeurs progressistes, pensent souhaitable et possible de concilier une politique de justice sociale et de progrès économique.
Cet espace politique que je persiste à penser potentiellement majoritaire a été longtemps (mal) occupé par le parti socialiste. La désertion de ce dernier lors des derniers scrutins a conduit ces millions d’électeurs à se disperser. Pourtant, force est de constater que ni la nouvelle majorité macroniste, ni la gauche mélenchoniste, ni la mouvance écolo-libertaire ne l’a remplacé. La place est toujours inoccupée. Aux socialistes de saisir, tant qu’il encore temps, l’occasion et de refonder la « vieille maison » en inventant la « social-démocratie » du XXI ième siècle.
[1] Presque indécente à mon goût sentant plus la volonté de mettre en avant sa propre culture littéraire que de rendre hommage avec l’humilité qui convient au défunt »
[2] Et il s’en est, de fait, fallu de peu que cette hypothèse se réalise : sans leur apport, Macron n’arrivait qu’au troisième rang, voire au quatrième…
[3] Mais plus aux agents du service public ! Ces « maudits fonctionnaires » à qui l’on avait promis la même chose, ont été abandonnés en rase campagne, ils n’auront qu’un maintien (?) de leur pouvoir d’achat.
[4] On peut ainsi s’inquiéter de certaines infos qui laissent penser qu’on envisage de retirer la gestion de l’apprentissage aux régions pour les confier, comme le demande le MEDEF, exclusivement au patronat…
[5] Comment interpréter ainsi la volonté du mouvement de François Bayrou d’incarner le courant « social » de la majorité ?
[6] Même si, encore une fois, la forme, on l’a vu lors de ses voyages en Afrique, ne laissent pas d’inquiéter tant ils reflètent une personnalité à la fois arrogante « et en même temps » sujette à des dérapages déplacés.