TROIS FAMILLES A GAUCHE: LA GAUCHE "RADICALE"
La gauche radicale, qui semble connaître – pour combien de temps ? - une nouvelle jeunesse grâce au talent oratoire de Jean Luc Mélenchon, avec sa « France insoumise » et son allié communiste[1], a capté une bonne partie des déçus du quinquennat Hollande (y compris la majorité de ceux qui avaient voté en faveur de B. Hamon lors de l’élection primaire du PS).
Elle développe – et revendique - une opposition frontale à la nouvelle majorité, sur une base clairement anticapitaliste. Passons sur la politique spectacle, rapidement agaçante, de ses dirigeants et attachons-nous au fond.
Son programme, classiquement keynésien, de relance par la dépense publique et l’augmentation sensible du pouvoir d’achat des salariés, pour sympathique qu’il puisse paraître, est, de l’aveu même de ses promoteurs, inapplicable sans sortir des contraintes actuelles de la construction européenne. Sa mise en œuvre se heurterait immédiatement à une hostilité farouche du monde de l’entreprise avec probable blocage de l’économie, susciterait très vite une réaction des marchés financiers et une hausse spectaculaire des taux d’intérêt de la dette publique, et isolerait drastiquement la France de ses partenaires européens, auprès desquels la crédibilité de la France s’effondrerait en quelques mois.
La suite serait probablement une fuite en avant dans le déni, l’effondrement du pouvoir d’achat, la dégradation de la balance commerciale, le redémarrage du chômage, le défaut de remboursement de la dette et la mise en tutelle de la France.
Jean Luc Mélenchon feint de croire que son programme, peut-être crédible en 1972 (et ce qu’on a appris depuis permet même d’en douter) est applicable en 2017, alors que l’économie s’est mondialisée, que les Etats européens n’ont plus la totale maîtrise de leurs politiques budgétaire, monétaire, commerciale, qu’ils ont en partie mutualisées avec leurs partenaires, et ce dans le cadre d’une Europe construite selon les règles d’inspiration libérale adoptées dès le traité de Maastricht de 1992[2].
Vingt-cinq ans plus tard, et quoiqu’on ait pu penser de ces choix à cette époque, le retour en arrière n’est plus possible, nier la réalité d’aujourd’hui non plus. Les décisions de ce type aujourd’hui nécessitent discussions, lutte d’influence, compromis, concessions, dans une Europe au sein de laquelle le rapport de force politique (eh oui, ça existe !) s’est sensiblement déplacé depuis en faveur des positions libérales et conservatrices.
A ce corpus assez classique, JL Mélenchon a adjoint deux composantes, d’une part une approche « populiste » opposant « le peuple » et les élites, ceux « d’en bas » et ceux « d’en haut », discours destiné à rallier les couches populaires en colère tentées par l’extrême droite, et un positionnement assez extrémiste – et plutôt artificiel - en matière d’écologie politique (notamment sur le nucléaire), destiné à attirer un public plus jeune aux côtés des nostalgiques plus âgés du programme commun de la gauche de 1972.
Mais finalement, Jean Luc Mélenchon souhaite-t-il vraiment gouverner ? On peut en douter, même si la dynamique des derniers jours de campagne l’a fait rêver un instant.
Il occupe aujourd’hui la place de « tribun de la plèbe » qu’il briguait : il incarne presque à lui tout seul l’opposition en lieu et place du PCF, qu’il a largement contribué à marginaliser, et du PS – que ses propres forces centrifuges ont fait exploser… avec l’aide d’Emmanuel Macron.
Il peut défendre la veuve et l’orphelin, entretenir sa popularité par ses positions généreuses, sans les risques de la décision et briller dans les médias, ravies d’avoir comme client un joyeux trublion, qui, comme autrefois George Marchais, adore faire son numéro à l’antenne.
Je crois que cette gauche, bien qu’évidemment largement composée de militants dévoués et d’électeurs sincères, ne rend pas service à ceux qu’elle croit défendre.
Outre qu’elle détourne, par un programme illusoire, des électeurs de la gauche de gouvernement, son intransigeance, ses refus de tout compromis, l’espérance d’horizons impossibles qu’elle peut distiller, ne peuvent qu’entretenir la colère, la rancœur, la défiance permanente, la déception aussi, et même la dépression sociale collective.
Pire encore, la sensibilité républicaine laïque que Mélenchon portait dans son histoire personnelle, a été gravement abîmée durant cette campagne par les positions et les actes de nombre de ses partisans et alliés, dont la complaisance avec des associations communautaristes, racistes, ou islamistes a été mise en évidence à plusieurs reprises.
Il ne peut plus être question, à mon sens, pour la gauche réformiste, de se confondre, avec cette gauche- là, qu’il est légitime aujourd’hui de qualifier d’extrême gauche.
[1] Allié…bon gré et surtout mal gré…
[2] Faut-il encore une fois rappeler que Jean Luc Mélenchon a été un ardent partisan de ce traité de Maastricht ? Certes, l’honnêteté oblige à reconnaître qu’il a avoué depuis s’être trompé. Mais lui-même et ses partisans devraient alors admettre que l’erreur est humaine et qu’évoluer, changer d’avis ne signifie pas obligatoirement trahir et sombrer dans l’ignominie, comme ils sont si souvent prompts à le crier…pour les autres.