GAUCHE REFORMISTE: LA DOCTRINE
Une doctrine réformiste: le compromis historique pour la République sociale
Ce réformisme, cette social-démocratie à la française, pourrait se définir par son projet de société, sa théorie d’un compromis social et par l’orientation politique qui en découle.
- Un projet de société : la République Sociale : à la fois utopie et promesse, idéal à atteindre et chemin pour y parvenir.
La gauche réformiste est d’abord un espace politique qui s’inscrit, comme on l’a rappelé plus haut, dans la continuité du « roman national » républicain et ses mythes mobilisateurs : Croyance dans le progrès, scientifique et social, aspiration à l’égalité des chances et des conditions, libéralisme sociétal, laïcité, attachement aux services publics et à un système généreux de protection sociale, d’une part, mais souci aussi de réalisme, refus de l’aventure et des extrêmes en général, conscience de la nécessité de préserver une économie créant de la richesse, etc.
Longtemps incarnée principalement par le parti socialiste (du moins sa majorité) et ses alliés divers gauches, elle est loin de s’y réduire.
Son réformisme, bien que déjà pratiqué depuis des décennies, fut longtemps refusé en théorie, par attachement au romantisme révolutionnaire autant que par l’effet du rapport de force avec le courant communiste, qui fut longtemps dominant dans la gauche du XXème siècle.
Dès les années soixante-dix, pourtant, le PS et le PCF s’accordaient sur un programme qui, pour audacieux qu’il fut, dessinait en perspective le projet de société des réformistes : la République sociale.
Qu’est-ce que cette République sociale ?[1]
- Un régime démocratique, décentralisé, assurant à ses citoyens et ses habitants, la sécurité, la totale liberté de pensée, combattant les inégalités par la fiscalité, les services publics étendus et une protection sociale généreuse, favorisant l’égalité des chances par l’Ecole Publique,
- …mais aussi une société produisant les richesses nécessaires au bien-être et à un niveau de vie satisfaisant des habitants. Certes tempérée et encadrée par les services publics et la loi protectrice des salariés et des plus démunis, l’économie de marché est reconnue et encouragée.
Les conquêtes sociales et civiques qui ont abouti au « modèle social républicain français », qui avec toutes ses lacunes et ses insuffisances est cependant bien souvent envié par de nombreux pays dans le monde, furent pour la plupart décidées et mises en œuvre par la gauche[2] lors de ses passages au pouvoir.
De la Révolution française aux gouvernement du dernier quinquennat, en passant par tous les épisodes d’exercice du pouvoir de la gauche au XIXème et XXème siècle, c’est un long fil progressiste qui illustre la continuité de cette tradition républicaine :
Jaurès disait que le socialisme, c’était la République poussée jusqu’au bout.
Dans cette conception, la République est une promesse. Jamais aboutie, toujours perfectible. Une marche continue, avec ses accélérations et ses pauses, en fonction des rapports de force, en fonction aussi de la capacité de la société à s’adapter aux changements. Mais une marche ininterrompue dont le modèle social français d’aujourd’hui constitue le socle imparfait et inachevé.
La marche vers cette République sociale comporte à la fois un objectif à court terme et une perspective à moyen et long terme.
- A court terme il s’agit de défendre ce modèle social républicain, déjà bien consistant, mais régulièrement remis en cause par les tenants de l’ultralibéralisme économique et passablement abimé par deux ou trois décennies de politiques libérales, voulues ou subies, dans le cadre d’une mondialisation mal maitrisée, notamment par une Europe, dont la construction, nécessaire, s’est développée, du fait des rapports de force politiques, sous la domination des conservateurs et de l’ordo-libéralisme allemand.
C’est là que les clivages interviennent car, pour la gauche radicale cette défense suppose de « ne rien lâcher » comme le scandent ses manifestants, quand la gauche réformiste pense que la survie du modèle (et donc sa prolongation et son amélioration) ne sera pas possible sans sa modernisation et son adaptation au contexte de l’économie mondialisée du XXIème siècle.
- A moyen terme, et pour avancer vers la république sociale, il est nécessaire d’enrichir et d’améliorer encore et toujours ce modèle social
On pourrait ainsi citer, en désordre, les objectifs suivants:
- Atteindre le plein emploi,
- Assurer une réelle sécurité sociale professionnelle,
- Donner à l’Ecole les moyens de réaliser une véritable égalité des chances et former des citoyens actifs et responsables
- Permettre à chaque individu de se former tout au long de sa vie
- Réaliser l’égalité réelle entre hommes et femmes,
- Intégrer à la citoyenneté les femmes, hommes et enfants issus des différentes immigrations,
- Permettre une véritable participation des salariés à la gestion des entreprises, et donc renforcer sensiblement la puissance des syndicats dans les entreprises et favoriser l »engagement syndical
- Réduire les inégalités sans décourager l’initiative
- Conforter et développer le secteur de l’économie sociale et solidaire,
- Aller vers l’économie du partage,
- Intégrer l’apport des nouvelles technologies de l’information dans la recherche du progrès social,
- Réaliser avec volontarisme ET réalisme la transition énergétique qui préservera l’avenir de la planète,
- Sans parler des nombreuses voies de progrès sociétal, encore à accomplir,
…les pistes d’avenir sont innombrables qui mènent à cette République Sociale, à la fois utopie et promesse, idéal à atteindre et chemin pour y parvenir.
- Une théorie : le compromis social
A partir du moment où l’on reconnait que l’économie de marché est incontournable pour créer les richesses nécessaires à l’élévation du niveau de vie et à la réduction des inégalités, où l’on admet donc l’existence et même l’utilité des couches ou classes sociales qui en sont l’une des composantes : actionnaires, entrepreneurs, propriétaires et gestionnaires des « moyens de production » privés, il faut en tirer les conséquences :
Même si (et parce que) la gauche a vocation à représenter les couches populaires et moyennes, il convient d’accorder sa théorie à sa pratique, et rechercher les bases d’un compromis social avec ces couches sociales dites « supérieures ».
L’objectif n’est plus, même à long terme, leur disparition et l’abolition de la propriété privée. Leur existence est au contraire confortée et leur utilité sociale reconnue. Cela implique aussi de savoir, en certaines circonstances, faire droit à certaines de leurs revendications, tenir compte de leur avis et ne pas tout rejeter en bloc leur vision du monde. Cela peut aussi signifier, qu’en période de vaches maigres, de rapports de forces défavorables, ce qui est indubitablement le cas aujourd’hui, le curseur se déplace de leur côté. Cela ne signifie pas qu’on accepte de se rendre, qu’on renonce à sa vocation de représenter et défendre les salariés et les défavorisés en général, que l’on oublie l’objectif de construire une société plus juste, moins inégale.
Car qui dit compromis dit qu’à concession d’un côté correspond concession de l’autre :
D’un côté la reconnaissance de l’entreprise et du marché, de l’autre la préservation et l’amélioration du droit des salariés, de leur protection sociale, de leur niveau de rémunération.
D’un côté la prise en compte des demandes d’amélioration de la compétitivité des entreprises (car le monde dans lequel elles agissent a considérablement changé dans les trois dernières décennies), l’allègement de certaines charges fiscales et sociales, de l’autre l’exigence d’un retour, sur la création d’emplois, l’investissement, la recherche, la participation des salariés à la conduite de l’entreprise.
D’un côté l’encouragement à la création d’entreprises, la facilitation des démarches des entrepreneurs et de ceux qui souhaitent le devenir, de l’autre la nécessaire solidarité sociale, une fiscalité qui contribue à réduire les inégalités et qui finance la protection sociale et les services publics.
Un compromis, pas une compromission.
- Un pragmatisme économique et social.
De cette théorie, sans doute jusqu’ici plus implicite qu’explicite, la gauche réformiste, persuadée qu’elle ne perd pas pour autant son objectif, tire une politique économique et sociale pragmatique, inspirée des principes précédents, mais à géométrie variable selon les variations du rapport de force.
Ce pragmatisme clairement mis en œuvre sous le quinquennat de François Hollande (CICE, pacte de responsabilité, lois Macron, réforme du Code du travail, etc.) est qualifié de « social libéral » par la gauche radicale qui n’y voit rien d’autre qu’un renoncement aux valeurs de la gauche, là où la gauche réformiste y voit une adaptation aux réalités de l’économie mondialisée d’aujourd’hui, adaptation qu’elle juge indispensable pour préserver le modèle social français.
La gauche de gouvernement si elle a privilégié pour l’heure une politique de l’offre, n’est pas pour autant devenue « libérale ». Les recettes keynésiennes restent valides à ses yeux mais la relance de la consommation, les grands investissements publics, l’action budgétaire et monétaire, etc. lui semblent plus opératoires au niveau européen, là où ces mesures peuvent avoir un impact réel.
Mais pour avoir une chance d’influer sur nos partenaires pour aller dans cette direction, encore faut-il conserver auprès d’eux une crédibilité sans laquelle ils resteraient sourds à nos propositions !
Bien entendu, le risque existe toujours de laisser glisser le curseur trop loin et la vigilance doit s’imposer[3]. Cela sera d’autant plus aisé que la gauche réformiste sera claire avec sa doctrine et confiante dans ses fondamentaux, qu’elle saura convaincre une large frange du mouvement syndical de s’engager dans cette voie, et surtout, que les résultats en matière d’emploi seront enfin au rendez-vous.
Longtemps affligée d’un complexe d’infériorité face aux « révolutionnaires », faisant profil bas face à une gauche radicale arborant fièrement les outils théoriques du marxisme et du « socialisme scientifique », pratiquant presque honteusement une politique réformiste sans abandonner les références à la théorie révolutionnaire, la gauche réformiste doit aujourd’hui s’affirmer.
La gauche radicale dans ses différentes incarnations, malgré ses succès récents, ne possède plus ni des outils théoriques opératoires, ni un projet de société spécifique, ni un programme politique, économique et social crédible.
Il appartient donc à la gauche réformiste d’incarner un projet, de s’identifier à un modèle social et à un projet de société attractif, et au sein de celui-ci de représenter le monde du travail, des salariés, des plus démunis.
[2] Y compris par la gauche radicale, comme le PCF à la Libération. Mais tous révolutionnaires que fussent ses objectifs lointains, les réformes que le PCF favorisa voire dont il fut l’auteur principal, participèrent à la construction « réformiste » du modèle social français et non à la subversion révolutionnaire.