II ) GAUCHE REFORMISTE

Publié le par Xavier GARBAR

II )  GAUCHE REFORMISTEII )  GAUCHE REFORMISTEII )  GAUCHE REFORMISTE

Le concept de « gauche réformiste » renvoie à un vieux et long débat au sein du mouvement socialiste, opposant « révolutionnaires » et « réformistes ». Ce débat, ce clivage, largement évoqué récemment sur ce blog1, me semble aujourd'hui tranché en faveur du réformisme. Qui aujourd'hui en France ou dans le monde, à part quelques groupuscules nostalgiques, préconise la révolution prolétarienne, la violence révolutionnaire, la dictature du prolétariat, l'expropriation de toute propriété privée des moyens de production, etc. ? Personne. Le dramatique et sanglant échec du socialisme stalinien et de ses épigones, les mutations économiques et sociologiques, les progrès et l'intériorisation par les populations des valeurs démocratiques enfin, sont les causes principales de cette disparition. RIP !

Pourtant, par un curieux effet de retardement, les socialistes français ont mis presque cent ans à s'assumer comme « réformistes. »

Dès le début du Vingtième siècle, les socialistes (ou plutôt certains socialistes, car le mouvement se déchirait sur ce point) participèrent, d'abord indirectement, par soutien parlementaire occasionnel2, puis directement à partir du Front populaire3, à la composition et à la direction d'un gouvernement « républicain ».

Mais attachés au lyrisme révolutionnaire, et quelque peu complexés à partir de 1920 devant le parti communiste, il fallut aux socialistes plusieurs étapes pour abandonner définitivement la « révolution ». Léon Blum, Président socialiste du gouvernement de Front populaire, toujours attaché à la vision marxiste de la révolution, théorisa cette pratique réformiste en distinguant « exercice du pouvoir » pour conquérir par la réforme de nouveaux droits pour les travailleurs, et « conquête révolutionnaire du pouvoir », remise à plus tard.

Au tournant des années soixante-soixante dix, on passa de la révolution au « réformisme révolutionnaire », puis le Parti socialiste rénové d'Epinay, qui adopta en 1972 un « programme commun » avec le parti communiste, préconisa la « rupture avec le capitalisme ».

Depuis quelques années seulement, les socialistes français ont unifié leur pratique et leur théorie. Lionel Jospin, premier ministre socialiste de 1997 à 2002 avait opéré une première clarification : « oui à l'économie de marché, non à la « société de marché ».

Aujourd'hui le parti socialiste et ses alliés s'assument pleinement comme « réformistes », reconnaissant ouvertement que l'économie de marché reste indépassable et nécessaire pour créer les richesses nécessaires à l'emploi et à l'amélioration du niveau de vie des couches sociales qu'ils représentent, ce capitalisme devant cependant être régulé, encadré et contenu dans son périmètre d'activité par la loi, les services publics, la protection sociale, l'existence d'un tiers secteur d'économie sociale, etc.

Plus encore, et c'est là que le clivage se réactivera avec les héritiers de la gauche « révolutionnaire », le réformisme de la gauche « de gouvernement » veut aussi englober les réformes qu'elle estime indispensable aujourd'hui, pour protéger, préserver, développer et donc adapter aux réalités d'aujourd'hui (mondialisation et financiarisation des économies, émergence – et concurrence – de nouveaux champions économiques, changement climatique et nécessité d'une transition écologique, nouveaux dangers du terrorisme fondamentaliste, etc.), le « modèle social républicain français, issu justement très largement de toutes les conquêtes du mouvement républicain, du mouvement ouvrier et du mouvement socialiste depuis la fin du Dix-neuvième siècle.

Pour synthétiser, on pourrait caractériser la gauche réformiste française d'aujourd'hui par un projet et une méthode.

Le projet, c'est la « République sociale », dans la continuité du modèle social en construction depuis le Dix-neuvième siècle, produit des luttes et des conquêtes républicaines et socialistes4.

Ce modèle, économie mixte, services publics, protection sociale, lois protectrices des salariés, fiscalité redistributrice, etc. est sans cesse remis en cause par les « libéraux » sans cesse soucieux de réduire des dépenses publiques et sociales toujours trop abusives selon eux, de supprimer des postes de fonctionnaires, d'alléger les impôts des plus riches, de s'attaquer à l' « assistanat », etc.

Il est également malmené par le contexte international : économie mondialisée, concurrence de main d’œuvre des pays émergents, crise financière..., et par des règles de fonctionnement de l'Union européenne trop imprégnée d'idéologie libérale.

Le gouvernement actuel n'en a que plus de mérite d'avoir réussi à ne pas se marginaliser au sein de l'Europe en respectant les engagements de la France en matière de maîtrise des finances publiques (qui lui aurait ôté toute capacité d'influence en Europe), sans pour autant mener une politique d'austérité (comme l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Grèce et même l'Allemagne et le Royaume uni), et donc sans  « abîmer » notre modèle social enrichi au contraire de droits nouveaux.

Car le projet ne se limite pas à sa phase défensive. La construction de la« République sociale » est loin d'être achevée. Et s'il faut d'abord la défendre, il faut aussi la développer, l'enrichir, l'adapter au monde d'aujourd'hui pour qu'elle tienne toutes ses promesses d'égalité: plein emploi, sécurité sociale professionnelle, revenu minimum universel, transition écologique, développement de l'économie sociale et solidaire, égalité Hommes-femmes, intégration harmonieuse des populations immigrées, nouveaux droits sociétaux, etc.

La méthode c'est la démocratie, toujours étendue.

Historiquement, les réformistes rejetèrent d'abord, sauf cas exceptionnels, la révolution par les armes, lui préférant la conquête démocratique du pouvoir par les urnes, par la persuasion, l'éducation des masses, etc.

De fait, les exemples abondent de révolutions violentes qui n'aboutirent jamais à la véritable démocratie, et se transformèrent rapidement en dictatures corrompues. Les moyens portant en eux la fin.

Ainsi Léon Blum, lors du congrès de Tours qui vit la scission entre communistes et socialistes en 1920, avait prédit avec une clairvoyance remarquable que les méthodes et les formes d'organisation préconisées par les bolchéviks russes mèneraient à la dictature d'une minorité sur la majorité, que la « dictature du prolétariat » se transformerait vite en dictature « sur » le prolétariat.

Le réformisme, c'est aussi un pragmatisme qui considère que tout acquis, même modeste est bon à prendre dès lors qu'il apporte un progrès de la sécurité , du niveau de vie, des conditions de travail et d'existence des travailleurs. Les réformistes ne pratiquent pas la politique du pire. Leur inclination aux compromis les livrent souvent en pâture aux plus radicaux qui y verront compromissions ou trahison.

Ils considèrent, comme Jaurès, que le socialisme c'est l'accomplissement continu de la République par accumulation progressive de réformes apportant chaque fois plus d'égalité, de solidarité, de libertés, etc.

Pour le social démocrate allemand Bernstein, qui fut le premier à théoriser le réformisme, la fin n'est rien, le chemin est tout.

La méthode c'est aussi la préconisation permanente du dialogue, de la négociation, qui n'exclut pas la confrontation, la lutte, le rapport de force, mais qui vise – puisque l'objectif final n'est plus la destruction de l'adversaire de classe - à obtenir des compromis favorables aux couches sociales représentées par la gauche.

Nécessité d'une réforme morale profonde

Mais ne soyons pas naïfs. Cette gauche réformiste, réaliste, pragmatique, cette gauche à laquelle j'adhère et suis fier d'appartenir, a évidemment les défauts de ses qualités.

En l'occurrence les défauts dans lesquels on peut toujours tomber lorsqu'on exerce le pouvoir, qu'il soit au niveau local comme central (et a contrario dont on est préservé lorsqu'on reste dans l'opposition!). Et ces défauts, s'ils ne sont pas propres à la gauche, ne l'épargnent hélas pas.

Le pouvoir corrompt, on le sait, et exerce sur ceux qui le détiennent, une tentation à laquelle peu d'êtres humains sont insensibles, même si heureusement tous n'y succombent pas . Reconnaissance sociale, prestige, honneurs, avantages matériels, cela change un homme et en fait déraper quelques-uns. Et si la plupart des élus de la république sont honnêtes, sincèrement dévoués à la chose publique, et n'abusent pas de leur position, quelques brebis galeuses suffisent pour discréditer l'ensemble.

Le pouvoir attire les intrigants (et les fabrique aussi). Un parti politique accédant aux positions de pouvoir local ou national, comme le PS, comptera forcément dans ses rangs des gens dont les convictions socialistes sont minces. Parfois, ce sont d'honnêtes citoyens, peu ou pas du tout politisés, soucieux de se rendre utiles à la collectivité, et qui, par souci d'efficacité , rejoignent le parti dominant, parfois, ce peut être aussi des individus moins recommandables. Tous ces gens n'iront évidemment pas rejoindre les maigres effectifs des petits partis politiques où ils n'auraient aucune possibilité de réaliser leur dessein.

Le pouvoir use aussi. Les emplois du temps démentiels de nombre de dirigeants, le cumul des mandats , la durée et les renouvellements excessifs de ceux-ci, la dureté cruelle de la vie politique, peuvent amener chez certains, à des degrés plus ou moins aigus, des caractéristiques bien éloignées des engagements initiaux : affaiblissement des convictions, éloignement des préoccupations quotidiennes des citoyens /administrés, carence voire absence de réflexion faute de temps et refuge dans la gestion, cynisme blasé, etc. sans compter les comportements individuels inadmissibles avec les collaborateurs(trices) et salariés, parfois bien peu conformes à la fraternité qu'on pourrait attendre d'hommes (ou de femmes) de gauche !

La vie politique est dure, on le sait. La politique n'est qu'une façon de faire la guerre de façon « civilisée » . Et si en démocratie, on ne se débarrasse plus de ses adversaires en les supprimant physiquement, ce qui reste un progrès incommensurable, les méthodes restent rudes et les coups portés le sont parfois bien bas. Les méthodes employées se soucient fort peu parfois de morale et laissent des traces, des rancœurs, des rancunes, des ressentiments, d'autant plus profonds et durables que les carrières politiques sont longues et que l'évolution de la vie politique favorise la professionnalisation de la politique.

Le clientélisme, mode de pouvoir issu de la nuit des temps, n'épargne pas plus la gauche réformiste que toute force politique exerçant des positions de pouvoir. Cela ne le rend pas plus excusable. Disons-le tout net, le clientélisme, lorsqu'il est pratiqué à grande échelle et de façon systématique, est incompatible avec les valeurs républicaines d'égalité des chances, de liberté de pensée, de justice sociale. Les fiefs constitués de cette manière pour conforter un clan, un notable, voire une famille, ne sont pas acceptables et devraient être combattus avec bien plus de vigueur qu'ils ne le sont.

La recherche du dialogue, du compromis, le souci de réalisme, que j'exaltais plus haut comme une caractéristique positive des réformistes, comportent aussi, pourquoi le nier, des risques de dérapages : compromis trop complaisants, corruption possible par les interlocuteurs, appréciation erronée des besoins des couches sociales qu'on est censé défendre, parce qu'on s'en est trop éloigné , les bureaucraties syndicales des social-démocraties en furent souvent accusées et pas toujours à tort.

Ces dangers existent. Les défauts, les dérives, individuelles ou collectives, les mauvaises habitudes, les ambitions personnelles, génèrent des erreurs, des fautes parfois, des décisions contestables, et ternissent l'image de la politique en général et de la gauche réformiste en particulier.

Bon nombre, pour ne pas dire la plupart, des critiques « de gauche » trouvent une origine dans ce défauts de comportement, ces méthodes.

La gauche réformiste doit en prendre conscience. Une « réforme morale », profonde, s'impose » qui proclamera bien haut les règles d'éthique qui s'impose à chaque individu, et surtout adoptera des règles qui aident les hommes à être vertueux.

1Cf « Adieu à la gauche ? Non, Adieu au Vingtième Sècle » février 2016
2Jaurès notamment, ne fut jamais ministre mais favorisa de son éloquence et de son prestige l'adoption de grandes lois républicaines comme la séparation des Églises et de l’État en 1905. Réformiste de fait, il défendait pourtant avec talent la théorie révolutionnaire, objectif final. Pour lui, le socialisme devait être l'aboutissement des promesses républicaines.
3En mettant à part leur participation aux gouvernements d'union sacrée durant la première guerre mondiale
4Il serait facile de montrer que la plupart des progrès sociaux ont été acquis lors des passages de la gauche au pouvoir ou à l'issue de luttes sociales importantes.
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