PLUS UNE MINUTE A PERDRE !

Publié le par Xavier GARBAR

PLUS UNE MINUTE A PERDRE !

Dans un an exactement se déroulera l’élection présidentielle, la plus importante, la plus décisive, celle aussi qui mobilise le plus d’électeurs.

A ce jour, selon les enquêtes d’opinion qui tombent en rafale jour après jour, et même si l’on n’est pas dupe des questions souvent tendancieuses[1] qui révèlent une indéniable entreprise de manipulation, la gauche, quelque soit la composante est éliminée du second tour, qui devrait donc offrir aux citoyens français la glorieuse alternative entre une politique ultra libérale-conservatrice (Sarkozy/Juppé/Fillon/Lemaire/Copé, etc.) et une plongée dans le gouffre populiste néo pétainiste de la famille Le Pen.

Rééditer le sketch de 2002, sans l’excuse cette fois de la surprise, alors que l’extrême droite a dramatiquement progressé depuis au point d’arriver en tête dans les élections nationales récentes, rejouer la même pièce aux français, je le dis sans ambages, serait de la part de la gauche, plus qu’une erreur, plus qu’une faute, mais un crime historique impardonnable au regard de l’histoire.

Cet avertissement concerne toutes les composantes de la gauche.

- Celle qui se croit « plus à gauche » et dont toute l’énergie est dépensée depuis 4 ans maintenant à dénigrer, à critiquer, à détruire, sans nuance, tout ce que le gouvernement en place a pu entreprendre sans jamais lui accorder la moindre indulgence. La critique, née essentiellement de la déception que la gauche « réformiste » n’a pas réalisé le programme de la gauche « de la gauche », à force d’être systématique, s’est muée chez certains en une véritable haine destructrice et irréversible qui se déverse sans retenue sur les réseaux sociaux et dans les partis et syndicats de cette mouvance.

Celle-ci n’ayant raisonnablement aucune chance d’accéder un jour au pouvoir, ce travail destructeur n’a qu’un résultat : décrédibiliser l’action publique, démobiliser les citoyens, et qu’une issue : les amener à s’abstenir voire à voter FN. Il est de plus probable que la sévère défaite qui s’annonce emportera dans l’abîme les derniers vestiges de cette gauche du XX ème siècle. Son chant du cygne, loin d’être digne et glorieux semble être d’emporter tout le monde avec elle dans la tombe, comme un pauvre type dépressif qui tue sa famille avant de se suicider. RIP !

- Mais l’avertissement s’adresse aussi – et comme c’est « ma famille » - surtout, et donc plus longuement aux dirigeants, militants, simples adhérents ou sympathisants, (c’est-à-dire à chacun de nous) des diverses composantes de la gauche « réformiste ».

Car, chers amis, chers camarades, il faut nous réveiller, il y a le feu !

Allons-nous, sans bouger, sans réagir, sans combattre, nous laisser glisser mollement dans une honteuse déroute électorale dont la gauche mettrait 20 ans à se relever ??

Car s’il n’est pas déshonorant de perdre une élection en démocratie, cela l’est assurément quand on n’a rien fait pour l’empêcher !

Alors, examinons les causes de cette mystérieuse paralysie, faisons notre examen de conscience, et essayons de comprendre.

Oh certes, vous me direz, et j’en souffre chaque jour comme vous, le contexte, l’environnement, n’étaient dès le départ guère favorables:

  • l’héritage de la droite bien sûr, sans doute sous-estimé : déficit abyssal, effondrement de la compétitivité des entreprises et de l’appareil industriel dans la dernière décennie, décisions fiscales à retardement, abaissement de la fonction présidentielle par le précédent locataire de l’Elysée, etc.
  • Un environnement international contraignant, carcan libéral des institutions européennes, effets pervers de la mondialisation et de l’interpénétration des économies, qui rendent bien plus aléatoires les décisions politiques des gouvernements nationaux, etc…
  • Enfin un appareil médiatique globalement hostile, parce qu’appartenant pour l’essentiel à de grands industriels représentatifs des classes privilégiées hostiles à la gauche qu’elles jugent illégitime, mais aussi parce que la règle aujourd’hui en vogue semble-t-il dans la profession, consiste visiblement, non à diffuser de l’information en présentant au public les différentes opinions, mais à déstabiliser les acteurs politiques en général et, plus encore les représentants du gouvernement ou de la majorité afin de démontrer une courageuse indépendance vis-à-vis du pouvoir (pas très méritoire à vrai dire dans une démocratie permissive comme la nôtre). Encore que j’attends de voir, si la droite revient aux affaires, si l’impertinence sera aussi cinglante…et j’avoue en douter.

Oui, oui, tout ça est réel, …mais on savait, pour l’essentiel, que ce serait comme ça. On ne choisit pas le champ de bataille…

Et regardons plutôt ce qui dépend de nous…

En préalable et au risque de paraître d’emblée désagréable, il y a lieu de porter, à mon avis, un jugement sévère sur les fameux « frondeurs », qui, élus sur le programme de François Hollande, qu’ils n’ont apparemment pas lu plus sérieusement que nombre d’électeurs de base (sans avoir l’excuse de ces derniers), se sont vite transformés en adversaires résolus du gouvernement. Rompre aussi facilement la discipline de vote, minimum qu’on puisse attendre d’élus nationaux membres de la majorité parlementaire, tourner le dos à la solidarité au premier désaccord, se répandre dans les médias pour exprimer leurs désaccords publiquement sans avoir au préalable épuisé les possibilités d’expression en interne, tout cela a fait évidemment plus de mal que l’opposition de droite et autant que l’affaire Cahuzac, en portant atteinte à l’autorité et à la crédibilité du pouvoir en place.

Quelles que soient les motivations des uns ou des autres, sincères désaccords idéologiques – (mais dans ce cas, qu’ils en tirent les conséquences et se démettent d’un mandat qu’ils finissent par usurper), ou opportunisme de ceux que l’impopularité du pouvoir porte à s’en désolidariser pour sauver leur siège (on en connait qui ne s’étaient pas spécialement fait connaître si radicaux auparavant…), il apparaît difficile de leur accorder maintenant la moindre confiance et partant la moindre responsabilité dans la campagne à venir. A fortiori il me parait impossible qu’ils puissent prétendre représenter la gauche dans une future législature. Pour ce qui me concerne, si j’étais confronté au cas de figure où l’un de ces « camarades » briguerait encore le siège (ce qui n’est heureusement pas le cas, mon député n’ayant pas joué à ce jeu-là) je m’opposerais vivement à leur désignation. Ils ont parfaitement le droit d’avoir leur opinion et de vouloir être député. Mais quand on a joué systématiquement contre son camp, on ne prétend pas bénéficier à nouveau de l’investiture et on change d’équipe.

Au-delà du cas de ces « frondeurs » qui ont fait passer – à juste titre – le parti socialiste pour une pétaudière, plusieurs autres mesures devraient, à mon sens être envisagées.

  • D’abord un gigantesque effort de pédagogie – et de communication – doit être entrepris auprès des électeurs de gauche, dont beaucoup sont déboussolés, y compris et d’abord auprès des militants.

Il est en effet hallucinant de constater que nombre d’adhérents des partis réformistes et d’abord du PS sont totalement désarmés face à l’offensive conjuguée de la droite et de la « gauche » protestataire, et face à la haine déversée chaque jour sur les réseaux sociaux. J’ai pu en effet constater que la plupart n’avaient aucune distance avec ce qu’ils lisaient, entendaient ou voyaient à travers les médias. Ne possédant aucun argumentaire, n’ayant aucun recours pour trouver des réponses, des explications à ce matraquage incessant, ne disposant d’aucun organe de presse bienveillant où se réfugier ou se réconforter[2], subissant de plein fouet un flot incessant de mauvaises nouvelles (les bonnes, qui pourtant existent étant toujours passées au second plan), nos militants désespèrent, se découragent, et finissent par être perméable à l’offensive adverse.

Je pense que le parti socialiste a complètement sous-estimé son rôle d’éducation populaire et de soutien à ses adhérents et sympathisants.

Je ne nie pas le travail fourni par l’appareil et notamment sur le site internet, mais il n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Et si les adhérents eux-mêmes n’y vont pas, que penser des sympathisants !

En particulier, il me semble qu’il faut faire rendre gorge à l’accusation de trahison, proférée avec constance et jubilation par nos adversaires et qui blesse tant nos électeurs.

Qu’on présente le bilan ! D’un côté les propositions du candidat Hollande, de l’autre les réalisations. Pas si mal ! Plus de la moitié réalisées, un bon tiers en cours.

Qu’on (re)lise et qu’on fasse (re)lire le fameux discours du Bourget dont bien peu de ceux qu’ils l’invoquent pour dire qu’on l’a renié, n’en ont pris connaissance. On sera surpris, qu’au-delà de deux ou trois phrases emblématiques, la politique suivie par le Président y était tout entière contenue et non les promesses soi-disant bafouées.

Qu’on assume que n’aient pas été accomplies des promesses qui n’existaient pas (comme l’augmentation des salaires ou des traitements des fonctionnaires),

Qu’on assume aussi les réalisations non prévues par le programme. Que ce soit les mesures prises pour assurer la sécurité des français face au terrorisme ou les dispositions pour relever la compétitivité (décidées dès la fin 2012 suite au rapport Gallois, homme de gauche respectable et respecté et grand industriel), il n’y a pas à s’excuser de prendre des mesures d’urgence quand elles concernent l’intérêt supérieur de la Nation. De Gaulle en son temps a eu raison, même s’il ne l’avait pas promis, d’accorder l’indépendance à l’Algérie !

Et qu’on valorise les réalisations et les résultats ! On a eu tort de qualifier de « promesse »[3] l’inversion de la courbe du chômage, plutôt que de parler d’un objectif. Celui-ci n’a pas été atteint à la date espérée, …comme nombre d’objectifs fixés dans les entreprises ou les administrations. Les causes de l’écart sont multiples et complexes, mais sont explicables. Et surtout, pour tardifs qu’ils soient, les résultats sont enfin là !

N’en déplaise aux opposants de tous poils dont on se demande s’ils ne se réjouissent pas, pour de basses considérations politiciennes, des difficultés de leur pays et de leurs compatriotes, le chômage s’est stabilisé et a commencé à baisser en fin 2015. C’est l’INSEE qui le dit, en application des normes du Bureau International du Travail, seule norme comparable avec les autres pays européens. Et les chiffres de Pôle Emploi, dont on peut d’ailleurs s’interroger sur la fiabilité[4], suivront bientôt, tous les indicateurs le montrent.

Les investissements reprennent, la compétitivité des entreprises s’est améliorée, les créations nettes d’emploi ont progressé, les déficits publics se réduisent et vont permettre à la France de respecter ses engagements européens, indispensables au maintien de sa crédibilité internationale.

Qu’on compare aussi avec les autres pays! Et la situation de la France est loin d’être honteuse. Au terme du quinquennat, la France sera en meilleure santé économique, financière qu’en 2012. Et cela sans avoir porté atteinte au modèle social républicain. Contrairement à l’Espagne, au Portugal, à la Grèce, la France n’a pas mené de politiques d’austérité. De la rigueur certes, mais nulle trace de baisse des pensions des retraités ou des traitements des fonctionnaires, pas de réduction des effectifs des agents des services publics, au contraire des avancées sociales malgré la conjoncture : généralisation à tous les salariés d’une couverture sociale complémentaire santé, généralisation du tiers payant, création du compte personnel d’activité, prime d’activité, etc.

Et même comparée à la Grande Bretagne et à l’Allemagne, la France n’a pas fait subir à ses salariés la purge libérale qui a créé dans ces pays un renforcement sévère des inégalités sociales.

Bien d’autres réalisations pourraient être mises en avant et devront l’être pour réveiller les consciences endormies et les tentations de certains d’abandonner le navire…

Mais la valorisation du bilan est insuffisante. Il faut aussi rendre palpables les enjeux de société que la présidentielle va mettre en valeur et tracer les perspectives.

La faiblesse de cette présidence est de n’avoir pas assez mis en valeur les projets de société sous-tendus par les politiques des uns et les programmes des autres.

Pourtant, l’enjeu est colossal :

Trois conceptions de la société, trois modèles sociaux seront en balance durant la campagne qui s’annonce et les électeurs doivent être éclairés, pour prendre conscience qu’ils vont, à travers leur vote, dessiner le type de société dans laquelle ils veulent vivre :

  • Le modèle libéral conservateur, d’inspiration anglo-saxonne, est porté clairement par les différentes composantes de la droite parlementaire. Les programmes des candidats à la primaire rivalisent de surenchère pour réduire drastiquement le niveau des dépenses publiques (donc les services publics et la protection sociale), le nombre de fonctionnaires, réformer voire supprimer le statut de la fonction publique, repousser encore l’âge de la retraite, diminuer les dépenses qualifiées d’ « assistance », augmenter le temps de travail, détricoter le code du travail, etc.

  • Le projet populiste xénophobe porté par le Front national. Outre qu’il trahit tous les idéaux humanistes de Liberté, d’Egalité et de Fraternité de notre République, par une politique toute de discriminations, de xénophobie, de racisme, de haine de la culture, ce projet enfermerait notre pays dans un isolement fatal à notre économie et à notre niveau de vie. Hyper dangereux, mais bénéficiant d’un rejet de la politique croissant, l’hypothèse d’une victoire de ce « néo-pétainisme » n’est hélas plus tout à fait inenvisageable.

  • La « république sociale », modèle social français, construit depuis plus d’un siècle par les luttes et les conquêtes sociales et républicaines, héritier des idéaux de la Révolution Française, des révolutions démocratiques et sociales du XIXème siècle, par les réformes républicaines et laïques de la Troisième République, par les conquêtes du Front Populaire, par l’apport décisif du programme du Conseil National de la Résistance, mais aussi par les acquis du gaullisme et des trentes glorieuses, et enfin par les apports des gouvernements socialistes de Mitterrand, Rocard et Jospin et du présent mandat présidentiel.

Ce modèle social, à la fois acquis et promesse encore à accomplir, imparfait et toujours remis en cause par les classes dominantes et leurs représentants politiques libéraux-conservateurs, mais néanmoins plus solide qu’on croit et souvent envié par bien des étrangers, nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux. Fragile, il nous faut le protéger, le moderniser, le réformer, l’adapter au monde d’aujourd’hui, qui a évidemment changé depuis les époques où il s’est progressivement construit.[5]

Nous devons être fier de ce modèle social, montrer combien il est utile, comment il incarne les valeurs universelles de la France républicaine et démontrer que c’est la gauche qui incarne ce projet de société.

Car le modèle social français, une économie de marché compétitive, créatrice d’emplois et de richesses, mais régulée par la loi protectrice des salariés, par la fiscalité, les services publics et la protection sociale qui réduit les inégalités et combat la pauvreté, ce modèle est à la fois une réalité et une promesse encore à réaliser.

Et les pistes de progrès social sont encore innombrables : sécurité sociale professionnelle, participation des salariés à la marche des entreprises, extension à tous de la protection sociale, égalité hommes-femmes, transition énergétique, etc.

C’est tout cela que la gauche doit incarner, le réalisme, les réformes déjà accomplies, la rigueur de la gestion, mais aussi la promesse de progrès futurs exaltants.

Incarner, c’est-à-dire que des femmes et des hommes doivent porter ces valeurs, ces projets aux yeux des électeurs.

C’est le rôle des militants qui seront indispensables pour convaincre, rassurer, réconforter, réconcilier. Ils le feront s’ils sont armés pour le faire, convaincus eux-mêmes du message à transmettre.

La gauche doit utiliser tous les moyens disponibles, et j’ai le sentiment qu’on est loin d’avoir fait le maximum dans cette direction.

Les élus de gauche seront une pièce essentielle de la reconquête.

Aujourd’hui, si la majorité des élus de gauche soutiennent le président et sa politique, force est de constater qu’ils sont pour le moins discrets sur la politique nationale.

Certes, jusqu’à l’an passé, les rendez-vous électoraux départementaux, locaux et régionaux les ont bien accaparés. Et il convient qu’une fois élus ils se consacrent avec sérieux dans leurs fonctions.

Mais à l’heure où les enjeux nationaux s’approchent dangereusement, ils ne peuvent plus se contenter de commenter, valoriser les réalisations locales, mêmes exemplaires. Le refuge dans l’activisme gestionnaire local peut être une façon pour certains de masquer leur malaise comme les autre militants.

Mais parce qu’ils portent une responsabilité supérieure, parce qu’ils sont appréciés par la population pour leur action locale, ils n’en seront que plus crédibles pour porter haut et fort la voix de la gauche dans le débat présidentiel.

Ce n’est pas sans risque, certes. Mais je ne peux croire ceux qui susurrent que certains élus locaux préfèrent quand la droite détient le pouvoir national, car les élections intermédiaires, qui en France sont des élections locales, sont souvent favorables à l’opposition…Calcul qui serait assurément à court terme…

[1] Exemple : « Compte tenu de l’impopularité record du président, pensez-vous qu’il doive de représenter ? » Pourquoi ne pose-t-on pas celle-ci : « Compte tenu des indicateurs économiques qui montrent une amélioration de la situation économique, …etc ? »
[2] Les anciens se rappelleront que sous la présidence de Mitterrand, durant laquelle l’opposition n’était pas moins vive, la presse de gauche existait encore (Le Matin, le Nouvel Obs, le Monde de Jacques Fauvet, avant la prise de pouvoir de Plenel…etc) Ceux de ces organes qui ont survécu font aujourd’hui de la surenchère dans l’opposition. De quoi désespérer le militant.
[3] D’ailleurs, jamais, à ma connaissance, Hollande ne s’est exprimé ainsi
[4] Les chiffres de l’INSEE comptabilisent les personnes au chômage, Pôle emploi recense les personnes inscrites sur ses listes à la recherche d’un emploi.
[5] C’est d’ailleurs l’objet du terrible malentendu qui oppose la gauche de gouvernement à la « gauche de contestation » qui interprète les réformes d’adaptation et de modernisation comme une remise en cause et une destruction, en faisant l’amalgame avec les politiques libérales de la droite. Si celle-ci revient aux affaires, on prendra conscience de la différence…mais sera trop tard !

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