Lettre à mes amis communistes, écolos, « frondeurs » et autres partisans d’une gauche « alternative ». ETES VOUS DEVENUS FOUS ?
Publié le
par Xavier GARBAR
Mes chers camarades. Je peux bien vous appeler ainsi car je vous ai, depuis ma jeunesse, beaucoup fréquenté.
Plus ou moins « compagnon de route » du PCF quand j’étais lycéen puis étudiant[1], chaud partisan de l’union de la gauche et du programme commun quand j’ai rejoint le PS dans les années soixante-dix, adversaire du traité de Maastricht en 1992, puis militant du Non au référendum de 2005, je crois bien comprendre vos arguments et vos positions.
Mais - j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, je pense que vous vous trompez. Vous vous trompez d’époque, vous vous trompez de lieu, vous vous trompez d’adversaire
Vous vous trompez d’époque.
Le combat contre les règles libérales imposées par les traités européens, que d’ailleurs certains d’entre vous ont approuvé à l’époque, a été perdu à deux reprises et nous devons aujourd’hui agir dans ce contexte là, avec les règles qui s’imposent à nous, avec le rapport de force ainsi créé.
Le nier et s’aveugler en faisant comme si ça n’existait pas, persister à proposer les mêmes solutions qu’il y a vingt ou trente ans, par exemple de mener en France seule une politique économique centrée exclusivement sur la relance par la dépense publique et la consommation, c’est tromper les français et entretenir une partie des classes populaires dans les illusions.
Surtout que depuis ces combats, la crise mondiale est passée par là. Excusez du peu : les déficits publics se sont creusés et l’endettement de la France a cru de 100% ! Et il faudrait faire comme si de rien n’était ? Comme si cela n’existait pas parce que cela nous empêcherait de rester buté sur nos positions et de prôner les mêmes solutions qu’il y a trente ans ?
Vous vous trompez aussi de lieu.
La relance par la demande, par de grands programmes d’investissement, l’inflexion de la politique de la BCE, la recherche d’une politique commerciale moins vulnérable aux effets de la mondialisation, tout cela, que nous avons défendu, reste valable.
Mais au niveau européen, pas au niveau de la France seule.
Déjà, si vous étiez un peu objectifs, vous admettriez que, pour insuffisant qu’ils soient, des changements positifs ont eu lieu depuis l’accession de François Hollande à la présidence de la République française, en matière monétaire notamment, mais aussi dans les orientations de la commission européenne, suite au compromis qu’a obtenu la social démocratie européenne en 2014
Mais surtout, ce qui est essentiel, c’est que seule une France forte et crédible aux yeux de ses partenaires peut peser dans le sens d’une politique en faveur de la croissance et de l’emploi
En mettant en œuvre la politique que vous préconisez, augmentation des salaires, des traitements des fonctionnaires, des dépenses sociales, des dotations aux collectivités, etc., et même en supposant (hypothèse improbable) que cela ne provoque pas de catastrophe rapide, cela se traduirait vite par un déficit public en forte augmentation – et donc un non respect brutal des engagements européens– par une dégradation rapide de la notation de la France et donc une aggravation de l’endettement et des déficits, qui entrainerait obligatoirement un recours accru à la fiscalité, suivi à coup sûr par la fronde fiscale des classes moyennes orchestrée par la droite et l’extrême droite, et au bout du compte, la perte totale de confiance des milieux de l’entreprise (avec l’aggravation du chômage à la clé) et enfin l’effondrement de la crédibilité de la France en Europe.
Ne voyez vous pas que derrière la volonté affichée du dialogue et de l’amitié franco-allemands, que vous qualifiez si rapidement de soumission, se cache un bras de fer permanent entre la France, chef de file des pays partisans d’une politique de croissance et l’Allemagne, première puissance économique du continent et leader de la plupart des pays du nord et de l’est européen qui campent sur des positions économiques très libérales et orthodoxes
Et surtout, surtout, vous vous trompez d’adversaires.
Je suis consterné et pour tout dire catastrophé, de lire ou d’entendre chaque jour, dans les conversations, les réunions, les commentaires des internautes de votre mouvance, mais aussi de vos militants et responsables politiques, même de haut niveau, un discours hostile d’une grande violence, exclusivement tourné contre Hollande et le gouvernement, le PS et ses dirigeants. On n’y parle que trahison, non respect des promesses, ralliement au libéralisme, obéissance au patronat, etc.
Le sentiment d’avoir été trompé déchaîne chez nombre d’entre vous une passion destructive, un puissant désir de vengeance (« ils n’auront plus jamais ma voix ») contre le PS, sans aucun souci des conséquences.
Il n’y a plus de droite dans votre univers, encore moins d’extrême droite.
Peu importe que la droite revienne aux manettes, car c’est maintenant l’hypothèse la plus probable, qu’elle s’attaque, comme elle l’a toujours rêvé, au modèle social français, repousse l’âge de départ à la retraite, supprime les trente-cinq heures, remette réellement en cause le code du travail, démantèle le statut de la fonction publique, recommence et encore plus fort à réduire drastiquement les effectifs de fonctionnaires, rogne sur les dépenses sociales, diminue les minima sociaux, fasse la chasse aux chômeurs et aux soi-disant assistés, abolisse l’impôt sur la fortune et réduise l’imposition des plus riches – je n’invente rien, c’est le programme des différents postulants à la primaire de l’UMP[2] - peu importe que les classes populaires en souffrent – l’important, l’important, c’est que les socialistes en bavent, qu’ils paient, qu’ils expient leurs péchés !
Peu importe que l’extrême droite remporte une des plus grandes régions de France et probablement la plus populaire, la région Nord - Pas de Calais - Picardie ! Mais une alliance avec les socialistes ? Jamais, au grand jamais ! Plutôt crever qu’aider ces traîtres !
Peu importe que cette marée noire s’amplifie, que l’idéologie mortifère, raciste, xénophobe, de ce néo-pétainisme se répande, dans les rangs de la droite parlementaire, dans les classes populaires, et s’insinue jusque dans nos électorats, chez nos proches, nos amis, nos familles[3]. Le danger est là, à nos portes. L’alliance à terme d’une partie de la droite gouvernementale et de l’extrême droite relookée n’est plus une hypothèse farfelue. Il n’y a qu’à écouter Sarkozy, Morano, Wauquiez et autres Jacob pour mesurer le péril.
Peu importe donc que demain on modifie le droit de la nationalité, qu’on réserve les aides sociales aux « nationaux », qu’on réduise le droit d’asile, qu’on fasse le ménage dans les politiques culturelles, qu’il faille bientôt se cacher quand on ne sera pas français « de souche ». L’important, ici et maintenant, c’est que les socialistes perdent, qu’ils mordent la poussière !
Excusez mon emportement, mais j’ai envie de crier, de vous crier : « Oh, ohé, réveillez-vous, Etes vous devenus fous ??
Vous êtes déçu par la politique – nationale - des socialistes. C’est votre droit.
Vous avez le droit de trouver la politique du gouvernement trop modérée, pas assez audacieuse, de lui reprocher de trop faire de concessions et de compromis avec le patronat pour qu’il participe à l’effort de création d’emploi. Vous pouvez juger que sa politique est trop conciliante avec l’Allemagne d’Angela Merkel, et regretter qu’il n’ait pas renversé la table dans les conseils européens.
Mais reconnaissez aussi que contrairement à ce qui s’est passé en Grèce, en Espagne, au Portugal, ou au Royaume Uni, la France de F. Hollande n’a pas réduit le niveau des salaires, pas supprimé ou réduit le salaire minimum, pas diminué l’effectif global de fonctionnaires, que les traitements de ceux-ci tout comme les pensions des retraités, s’ils sont au pire gelés, n’ont pas été réduits brutalement de 20 ou 30 % ! Les trente cinq heures n’ont pas été remis en cause, le code du travail est amendé à la marge mais pas déconstruit, les impôts ont certes augmenté pour certaines catégories sociales, principalement les couches supérieures - mais pas seulement - au début du quinquennat[4] pour tenir les engagements européens de la France en matière de déficits mais ils ont diminué sensiblement en 2014 et 2015 pour les classes populaires et moyennes.
Mieux, des avancées sociales ou sociétales ont vu le jour : la prise en compte de la pénibilité dans le calcul des droits à la retraite, le retour d’un possible départ à 60 ans pour les carrières longues, l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, la généralisation du droit à une complémentaire santé, la réforme des rythmes scolaires, les créations de postes dans l’Education Nationale, la police, la Justice, les emplois d’avenir pour les jeunes sans diplômes, le droit au mariage pour tous, etc.
Ce n’est pas parfait. On peut juger ça insuffisant.
Mais c’est assez pour qualifier la nature de la politique de Hollande et Valls : une politique social-démocrate (et non sociale-libérale, mot valise qui est une insulte plus qu’un concept rigoureux), modérée, prudente, qui tient compte du rapport de force (défavorable, faut-il le rappeler) en Europe, mais dont l’objectif et les actes consistent à préserver, consolider – et donc parfois adapter – et améliorer encore le modèle social républicain.
Ce modèle, ce projet de société, c’est aussi le vôtre. Vous n’en avez pas d’autre. Entre nous il n’y a pas de différence de nature, seulement de degrés.
En face nous avons la « société du tout marché » dont rêvent les libéraux conservateurs ou/et le grand enfermement néo pétainiste de la famille Le Pen. Voilà la vraie alternative. Faut-il donc tout faire pour leur faciliter la tâche en nous entre-détruisant ?
Et dans les collectivités, les municipalités, les intercos, les départements, les régions, soyons sérieux ! Sur l’essentiel, vous n’avez pas de divergences absolues et définitives avec le PS. Alors pourquoi, face au danger qui menace, ne pas constituer des listes communes, des listes de défense républicaine, avec des règles prévoyant une autonomie de chaque sensibilité (sur la discipline de vote, l’adoption des budgets, etc.)
Pourquoi vouloir, lors des prochaines régionales, par souci d’en découdre avec les socialistes, pour assouvir cette rage, favoriser une nouvelle défaite de la gauche après celles des municipales et des départementales ? Pour rendre encore plus inéluctable la défaite en 2017 ?
Encore une chose. Je vois bien, je sens bien que la colère qui anime la base militante de la « gauche de la gauche » est profonde, qu’elle correspond à une vraie déception, pire même à du dépit, au sentiment d’avoir été dupé, trompé.
Je ne partage pas cette opinion bien sûr et j’ai déjà eu l’occasion de démontrer qu’elle repose sur un malentendu[5], mais elle est sincère et donc respectable.
Je ne suis pas sûr par contre que la même sincérité habite un certain nombre de dirigeants qui, pour la plupart ont exercé des responsabilités de gestion, locales, voire nationales, et connaissent donc, pour l’avoir eux-mêmes pratiqué, la nécessité des compromis face aux multiples contraintes qu’amènent inexorablement la pratique et l’exercice du pouvoir.
Sachant cela mais attisant sans cesse les braises en préconisant une politique radicale, ils font en sorte que jamais ne se représente pour eux l’occasion de parvenir au pouvoir pour appliquer leurs solutions. Ce n’est plus dès lors la gauche radicale. C’est la gauche confortable, qui préfère l’irresponsabilité de l’opposant à la rude tâche du réformateur à l’ouvrage.
[1] UNCAL, UNEF-Renouveau …cela ne parlera évidemment qu’aux plus anciens…
[2] Excusez-moi, mais je ne pourrai jamais appeler « les Républicains » un parti dont le programme et toutes les prises de position sont la négation des idéaux républicains !
[3] Et hélas chez certains intellectuels anticapitalistes comme Jacques Sapir, qui n’exclut plus une alliance avec le FN
[4] Au moins pour moitié en raison de décisions antérieures à l’arrivée de la gauche…
[5] Parce que ces électeurs et militants n’ont pas lu le programme et les propositions du candidat Hollande – l’Histoire il n’y a aucun doute là-dessus lui rendra justice sur ce point - et qu’ils lui reprochent en fait de n’avoir pas appliqué le programme…du front de gauche !