II - LA « GAUCHE ( ?) DE LA GAUCHE » : ALTERNATIVE OU IMPASSE ?
Publié le
par Xavier GARBAR
Deux politiques à gauche ?
J’entends les mêmes camarades me dire qu’au-delà des droites, il n’y avait pas d’autre choix, pour la gauche, que celle actuellement suivie. Encore une fois, je ne suis pas d’accord. Il y a bien une autre politique possible à gauche et même plusieurs.
Donc, plutôt que de sembler fermer le débat et refuser la discussion, acceptons-le, avec tolérance et ouverture d’esprit. Le PS a été trop souvent arrogant et méprisant avec les autres formations de gauche, et cela a laissé des traces. Aujourd’hui qu’il est à la peine, certains lui font payer cher cette attitude. Il faudra en tirer la leçon à l’avenir.
Ouvrons ce débat avec responsabilité aussi, car derrière les médias en embuscade, globalement acquis à la ligne « libérale », les adversaires de droite et l’ennemi d’extrême droite nous observent et ne manqueront pas de tirer profit de toutes nos divisions.
L’autre politique
Cette « autre politique » est prônée par la partie de la gauche dite radicale qui va de l’ultra gauche trotskiste à une partie des Verts en passant par le Parti Communiste, JL Mélenchon et même une fraction du PS.
Franchement keynésienne en économie, elle condamne les réductions (et même le ralentissement de l’augmentation) des dépenses publiques et prône une relance de l’économie par une augmentation du pouvoir d’achat et l’injection de fonds publics dans le circuit économique.
Elle considère donc que les allègements de charges ou de fiscalité des entreprises ne sont que des cadeaux improductifs au patronat qui s’en servira comme effet d’aubaine pour augmenter ses profits sans créer d’emplois.
Cette orientation se heurte évidemment aux traités européens et aux obligations (de réduction du déficit public et de la dette) auxquelles la France a souscrit dans les trente dernières années.
Enfin, ces courants de la « gauche de la gauche » s’opposent à toute mesure d’adaptation du marché du travail et à tout compromis avec le patronat qui réclame à corps et à cri la simplification et l’allègement des contraintes du droit du travail.
Partageant certaines de ces thématiques et ayant beaucoup milité par le passé pour l’adoption de telles politiques, je me sens autorisé à dire à ces camarades, « frondeurs » ou communistes, syndicalistes qui partagent les mêmes vues, ou citoyens qui les suivent, qu’ils se trompent. Ils se trompent d’époque. Ils se trompent de lieu. Ils se trompent de combat.
Ils se trompent d’époque.
Entre 1986, adoption de l’acte unique européen et 2007, signature du traité de Lisbonne, en passant par le traité de Maastricht en 1992, et le traité constitutionnel européen (TCE) en 2005, les Etats européens et plus particulièrement ceux de la zone Euro, ont adopté une série de mesures visant à renforcer l’intégration européenne. Sous la houlette de la droite libérale européenne, et avec l’assentiment plus ou moins consentant de la social démocratie, cette construction européenne s’est réalisée en intégrant dans sa nature, dans ses structures, les règles du libéralisme économique et en dépossédant peu à peu les Etats membres d’une partie importante de leur souveraineté, monétaire, budgétaire et commerciale.
Durant ces vingt années pendant lesquelles nous fûmes au total peu nombreux à essayer de ramer à contre-courant, nombre de pourfendeurs actuels de la politique du gouvernement clamaient haut et fort leur soutien, naïf ou cynique, aux décisions adoptées sous couvert d’idéal européiste.[1]
Les traités furent adoptés, légalement, et les conséquences ne furent pas longues à apparaître. Les défauts originels de la monnaie unique (une même monnaie dans des pays aux structures et aux fonctionnements économiques très différents) ont éclaté aux yeux de tous durant les crises financières de la Grèce et de l’Espagne, la dérèglementation et l’ouverture à la concurrence ont mis à mal les services publics, qui constituent un des piliers de notre modèle républicain, le zèle des ayatollahs ultralibéraux de la Commission
européenne de Barroso ont puissamment contribué à affaiblir le tissu industriel européen et notamment celui de notre pays.
Comme l’illustrait avec humour Jean Pierre Chevènement, nous avons eu tort de monter dans cet avion. Mais aujourd’hui, nous sommes à 12 000 mètres d’altitude et il n’est plus possible de sauter par le hublot, sauf à provoquer le crash.
Par ailleurs, même si – comme c’est mon cas – l’on n’adhère pas à l’orthodoxie budgétaire intégriste de la droite allemande et même si on ne considère pas la dette publique comme un mal en soi, on ne peut pas non plus raisonner en 2014 comme en 2002, alors que l’endettement public est passé entre ces deux dates de 50 à 95 % du PIB ! La situation a radicalement changé et il n’est pas imbécile de penser qu’on ne peut pas défendre les mêmes solutions qu’alors ! Rejetons tout dogmatisme dans un sens comme dans l’autre.
Aujourd’hui, aussi bien pour des raisons objectives (le montant de la dette et donc les déficits qui la nourrissent ne sont pas des fantasmes, ils sont bien réels) que pour des raisons tenant à un environnement contraint, qu’on peut ne pas aimer, mais qu’on n’a pas choisi et qui s’impose à nous, (les marchés financiers, les règles européennes auxquelles la France a souscrit, le rapport de force politique européen où les conservateurs libéraux sont majoritaires), laisser filer les déficits en utilisant massivement les dépenses publiques pour relancer la demande en France seule, ne me parait pas praticable sans graves conséquences pour notre pays :
dégradation rapide de la balance commerciale,
augmentation massive des taux d’intérêt consentis par les prêteurs,
aggravation des déficits publics, explosion de la dette, défaut de paiement,
et au bout du compte, parce que face à cette dégradation il faudra forcément avoir recours à l’impôt, hostilité massive des classes moyennes, perte de compétitivité et défiance généralisée des entreprises, donc explosion du chômage, perte définitive des couches populaires, les pires scénarios ne me semblent pas exagérés, pour la France et pour la gauche, avec, pour celle-ci, une perte de crédibilité dans sa capacité à gouverner pour longtemps.
Ils se trompent de lieu.
Pour autant, les recettes keynésiennes ne sont pas à jeter au panier. Les efforts consentis en termes de rigueur budgétaire en France, n’empêchent pas, bien au contraire de prôner avec vigueur une relance de la demande au niveau européen.
La relance par la demande, impraticable dans notre seul pays, parce qu’inefficace et contre-productif, est au contraire indispensable au niveau de l’Europe toute entière.
Relancer l’investissement en Europe, en finançant, y compris par l’emprunt, de vastes programmes d’infrastructures, notamment dans le cadre de la transition énergétique, faire jouer la solidarité entre nations, harmoniser les politiques fiscales et sociales, changer la politique ultra libérale de la concurrence de la précédente commission en une politique du juste échange, favoriser la constitution de champions industriels européens, mettre la politique monétaire de la BCE au service de la croissance et de l’emploi, ce programme, qui fut d’ailleurs à peu près celui du PSE lors des dernières élections européennes, a déjà trouvé quelques points d’application. Et la parole et les actes de François Hollande n’ont pas été pour rien dans les inflexions positives déjà constatées.
Qu’il faille faire plus et mieux, on en sera d’accord. Que le rapport de force soit peu favorable, est une réalité que la gauche radicale ferait bien de prendre en considération. Et on a besoin de soutiens pour porter plus haut la parole de la France en faveur d’une Europe sociale, d’une Europe de la croissance et de l’emploi.
Mais que ce soit là, plus qu’en France seule que doit se mener ce combat est une évidence.
Ils se trompent de combat
Il est des moments où chacun doit prendre ses responsabilités. Autant je plaide pour le respect de chaque composante de la gauche, pour le dialogue et l’écoute, et contre la tentation hégémoniste qu’a pu avoir le PS dans le passé, autant je supplie les femmes et les hommes de gauche, camarades avec lesquels nous avons mené tant de combats, de ne pas se tromper d’adversaires.
Analysez, camarades, le contexte dans lequel nous sommes engagés.
Mesurez le rapport de force dans lequel nous sommes contraints d’agir.
Comparez les projets de la droite, de l’extrême droite, et du gouvernement et sa majorité.
Vous avez été déçus par ce gouvernement ? Vous considérez qu’il n’a pas tenu ses promesses ? Pire, même certains d’entre vous vont jusqu’à parler de trahison.
Il me serait facile de reprendre les 60 propositions du candidat Hollande et ainsi démontrer qu’à mi-mandat une bonne moitié, voire plus, des engagements ont été respectés. Je pourrais aussi, en vous invitant à (re)lire le fameux discours du Bourget, vous montrer que les accusations de trahison sont infondées et que François Hollande est fidèle à ses paroles de ce jour-là, comme à tous ses écrits antérieurs et notamment au moment des primaires. Au fond, la gauche de la gauche ne reproche-t-elle pas à François Hollande de n’avoir pas tenu les promesses du programme …du front de gauche…. ?
Mais à quoi bon polémiquer. Vous avez votre opinion, elle est digne de respect. Je ne partage pas vos analyses, mais celles qui ont mon agrément ne sont sans doute pas non plus parfaites. Et le gouvernement que je soutiens ne me convient pas non plus à 100%. Certaines de vos options pourraient être utiles pour faire pencher la balance du bon côté.
Encore faut-il être au bon endroit pour peser. C’est-à-dire dans la majorité.
L’impopularité du gouvernement provient à mon sens de trois causes :
D’abord et surtout, la stagnation économique et le chômage qui poursuit sa crue. Le gouvernement apparaît impuissant à s’opposer à cette calamité. Plus profondément, la confiance dans la capacité des politiques à agir sur le cours des choses est mise en cause. C’est la cause principale. Une récente enquête d’opinion révélait pourtant qu’une nette majorité de français serait prêts à reconsidérer leur mauvaise opinion du président et de son gouvernement en cas d’inversion de la courbe et de progrès obtenus sur le front de l’emploi.
La déception du peuple de gauche ensuite, qui, faute d’avoir vraiment pris connaissance des termes exacts des engagements du candidat, avait espéré, sans considération de l’héritage et du contexte extérieur, une amélioration rapide du pouvoir d’achat, une augmentation des salaires, l’augmentation de la valeur du point d’indice des fonctionnaires, la création massive d’emplois publics, que sais-je encore : des nationalisations ?, toutes choses absentes du programme de Hollande, ce que la presse et la « gauche » de la gauche se gardent bien de dire…Déception révélatrice donc d’une certaine immaturité politique de l’électorat de gauche, mais qui doit aussi être reprochée à ceux qui ont failli dans les explications, la communication et la promotion de leur programme politique, c’est-à-dire… nous. Ils ont mal entendu, certes, mais sans doute parce que c’était mal expliqué ou présenté.
Enfin, la forte hostilité du « peuple de droite », dont l’existence ne doit pas être occultée et dont les frontières ne sont pas étanches. Il ne se limite pas, en effet, aux manifestants de la « manif pour tous ». Il se compose, certes, des classes moyennes traditionnelles, artisans, commerçants, professions libérales et petits, moyens,…et gros entrepreneurs, qui, quoiqu’il arrive, seront toujours structurellement, statistiquement, hostiles à la gauche. La droite peut recevoir à certaines périodes de l’histoire le renfort de nombreux français inquiets, trouvant refuge dans l’individualisme, salariés issus des classes populaires ou des classes moyennes, anxieux du déclassement social et donc sensibles à la rhétorique du « trop d’impôts », perméables aux discours recherchant des boucs émissaires à la crise : immigrés, chômeurs, assistés, fonctionnaires…
Tous les éléments sont actuellement réunis pour donner à la droite l’avantage : un héritage économique, social et financier désastreux, une politique économique dont le résultat en terme de croissance et d’emploi se fait attendre, une presse (radio, télé, presse écrite et réseaux sociaux) hostile à 95%, un peuple de gauche déçu et désemparé, un électorat de droite mobilisé, une extrême droite populiste portée, comme toujours dans l’histoire par la misère et l’ignorance, un environnement extérieur (en Europe notamment) majoritairement conservateur, un cadre normatif (les règles des traités européens) libéral peu compatible avec le modèle social français, la liste est longue…
Il ne s’agit pas de faire du chantage, ou d’invoquer rituellement le « vote utile ».
Mais quand les amis de la gauche radicale vont-ils ouvrir les yeux et admettre que la situation est grave ?
Quoiqu’ils pensent des responsabilités de la gauche socialiste au pouvoir, se rendent-ils compte que l’alternative à Hollande ce n’est pas Laurent ou Mélenchon ? Plusieurs années après sa constitution, le Front de gauche ne progresse pas. Ses attaques de plus en plus violentes contre les « trahisons » du PS ne se traduisent ni en adhésions massives, ni surtout en voix, mais en abstentions voire en vote Le Pen !
Le PCF, élections après élections, perd peu à peu son implantation locale. Les syndicats « contestataires » n’entraînent pas non plus les salariés, les manifestations s’amaigrissent de semaines en semaines.
L’alternative de gauche au PS est un échec. N’en profitent que la droite et l’extrême droite.
Alors jouerez vous, parce que la passion l’emporterait, la politique du pire (plutôt Sarko que Hollande ! tel semble hélas l’avis de Mélenchon[2]) ?
Préfèrerez-vous l’opposition confortable et sans risques à la gestion forcément frustrante et un peu salissante ?
Comprenez-vous surtout que la droite de retour au pouvoir en 2017, face à une gauche éclatée et à une extrême droite conquérante aura les mains libres pour faire exploser enfin le modèle social et républicain ?
[1]Au premier rang desquels …un certain Mélenchon qui voyait dans le traité de Maastricht « un compromis de gauche » ! (Sénat, séance du 9 juin 1992)
[2] Pour Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Sarkozy "est un homme … qui maintenant paraît, en matière sociale, plus modéré que François Hollande". Lequel aurait, selon lui, "tout aggravé de ce qu'avait fait Nicolas Sarkozy"….quelqu'un qui a une cohérence intellectuelle. Après on aime ou on n’aime pas, c'est une autre paire de manches, mais la vie politique gagne à avoir des protagonistes de haut niveau, croyant dans ce qu'ils disent."Et d'enfoncer le clou : "Vaut mieux ça que des mollassons et des ectoplasmes dont on ne sait pas ce qu'ils pensent ni ce qu'ils comptent faire." Une allusion claire à François Hollande. "Mais je ne veux nommer personne, bien sûr", ironise-t-il en souriant.(France TV Info le 3 décembre 2014)